Mercredi 24 Avril 2024
MARÍA/MIRIAM
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Quand une mère de torera parle de sa fille…
 
María del Carmen Cabas fait partie d’une tout petite communauté, elle est mère de torera. J’ai bien dit de torera, et non pas de torero. Comme une sous-espèce, sans que ce soit péjoratif, dans un milieu déjà assez confidentiel, mais je pense avec un point commun entre elles, leur vision aigüe de la passion de leur fille. Vu au travers du prisme familial, le ressenti est forcément très aiguisé et concernant sa fille Miriam Cabas, qui n’est plus tout à fait une inconnue chez nous, il nous aide quelque part à encore mieux la cerner.
 
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C’est en cela qu’il m’a paru intéressant de reprendre l’entrevue publiée sur le blog taurin « Guarismo del Ocho », où à partir des propos de sa maman à l’occasion de la Fête des Mères en Espagne, on parvient à encore mieux connaitre sa torera de fille qui d’ailleurs n’est plus tout à fait une inconnue chez nous et que l’on va retrouver dès ce dimanche à Bougue pour le fameux Bolsín…
 
Au sujet de sa vocation naissante, María a déclaré : « J’ai eu très peur, bien que voyais venir cette passion. Depuis l’âge de trois ans, Miriam était torera, elle allait partout en toréant ! Les gens disaient toujours que c’était drôle parce qu’elle toréait avec la première chose qu’elle trouvait, une nappe, une serviette, un coussin… A cinq ans, elle allait à l’école et à la récré, elle voulait prendre son capote et sa muleta pour toréer ses copains qui faisaient le toro, faisant ainsi que les autres enfants se mettaient aussi à jouer au toro, ce qui serait impensable en ce moment car c’est une chose très rare maintenant, encore plus pour une fille. » 
 
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Concernant sa réaction lorsque Miriam lui a annoncé sa décision de vouloir devenir torera, on ne peut pas dire que sa maman ait sauté au plafond de joie ! « Quand elle m’a dit qu’elle voulait être torera, je l’ai mal vécu. J’ai juste insisté pour qu’elle se consacre à ses études et en vérité, dans ce contexte, j’ai été assez sévère. Mon père, décédé récemment, était son principal soutien, il avait été maletilla et ils ont toujours été très unis.
 
Dans des livres, elle racontait qu’elle était au campo pour faire manger les poules et les toros, mais ce n’était pas vrai. Elle vivait dans un monde parallèle dans lequel elle est déjà torera. 
 
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Pour assimiler cette décision, ça m’a plus coûté qu’à elle. Mais ce n’est pas tout, comme j’ai été très sévère envers elle, Miriam a obtenu son diplôme supérieur et actuellement, elle poursuit des études de vétérinaire. Je lui ai dit que si elle voulait des toros, il fallait qu’elle réussisse… et elle a ramené un 10 ! Il est vrai aussi que tout était fait pour l’écarter de ce milieu, mais il n’y avait pas moyen. Cependant, tant qu’elle est heureuse en faisant quelque chose qu’elle aime vraiment, c’est sa vie… » 
 
Parlant de sa fille, María ajoute : « Je la vois avant tout comme une personne humble, de très simple et très sympathique, amie de ses amis. C’est quelque chose que j’ai toujours essayé de lui transmettre, être elle-même. 
 
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Revenant sur ses débuts dans ce milieu particulier, elle note une évolution assez récente… « Elle s’entrainait en faisant la tapia aux tentaderos, en apprenant au campo. Depuis l’an dernier, elle suivait les conseils des maestros et les choses ont évolué depuis les novilladas de Canal Sur. Elle a appris à partir des volteretas reçues au campo. Pendant la pandémie, elle se préparait dans le garage, s’entrainant sans me le dire à n’importe quelle heure. L’année d’avant, elle était allée dans un Bolsín en France, en se mesurant aux autres sans jamais avoir tué, c’est pour ça qu’elle avait en tête de devoir se préparer. En France, malgré les circonstances, elle est parvenue à être finaliste et à partir de là, elle a commencé à intensifier sa préparation. 
 
Apprenant qu’il y avait un tentadero, elle passait à la maison, me demandant que je lui prépare un sandwich et elle y allait. Elle prenait des vaches déjà toréées puisque lorsque c’était son tour, elle était peut-être la septième à la consentir. Ensuite, elle rentrait en me disant de ne pas m’affoler, en se déshabillant et arborant plein de bleus. Malgré tout, elle voulait uniquement s’entrainer et se préparer.
 
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Elle a poursuivi ainsi jusqu’à ce qu’ils lui disent qu’elle allait participer aux novilladas de Canal Sur et j’étais un peu inquiète car il y avait des jeunes bien préparés, alors que ce n’était pas son cas. C’était la première fois qu’elle allait s’habiller de lumières et qu’elle tuerait son premier becerro, étant très déterminée et sûre d’elle. C’était la même décision et détermination que lorsqu’elle a commencé à fréquenter les tentaderos en étant la dernière, mais ensuite elle a commencé à sortir en premier de la tapia. Mais elle avait su garder la tête froide et refuser si elle avait un examen à préparer. Elle n’a jamais rien laissé de côté, je l’admire beaucoup, non pas parce que c’est ma fille, mais il est certain que souvent, on doute entre faire quelque chose qui nous plait ou quelque chose que l’on doit faire. C’est pourquoi Miriam organisait ses journées pour ne rien négliger dans ce qu’elle avait à faire, ce qui dénote selon moi une grande maturité. » 
 
Revenant sur le fait de voir sa fille pour la première fois en costume de lumières, María ne cache pas sa fierté… « Quand je l’ai vue ainsi vêtue, j’étais très fière qu’elle fasse partie de cette sélection en tenant compte de tout le travail qu’elle avait effectué en amont. J’ai vu sur son visage son illusion, en transmettant une sérénité absolue. J’étais plus nerveuse qu’elle ! En outre, nous avons pris un autobus pour que tous ceux qui l’entouraient, famille et aficionados, puissent la voir, et elle était toujours soucieuse de veiller à ce qu’il ne leur manque rien !
 
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J’étais surprise par le calme qu’elle dégageait, mais en la voyant, je lui demandais si tout allait bien car c’était sa première fois. Ce n’était pas comme un survêtement ou un jean, mais elle me rassurait, me disant que tout irait bien. Cependant, je n’ai pas réussi à la voir aux arènes, mais je sais que la lumière et l’allégresse qu’elle transmettait a profondément marqué les gens. »
 
En effet, María a confessé qu’il lui serait très difficile de la voir dans une arène, et elle préfère attendre en dehors…  « Elle sait que je suis chaque tarde avec elle, mais je ne peux pas, je ne me vois pas dans une plaza. Ça me fait très peur car je pense à la cogida et si je me mets à hurler, je peux la rendre plus nerveuse et plus en difficulté. Mais elle sait que je suis là et je suis de fait la première qu’elle appelle dès qu’elle sort des arènes. 
 
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Chaque mère réagit à sa façon. Au début, je devais parfois l’accompagner car elle n’avait pas le permis de conduire, et je me tenais alors à l’extérieur en l’attendant, ou je revenais plus tard la récupérer, alors que Miriam était toujours la dernière à sortir ! Une fois, en l’attendant, j’ai rencontré la mère de Manuel Escribano lors d’un tentadero chez Cebada Gago. Elle promenait avec son chien et comme il faisait très chaud, je lui ai alors dit que si elle le voulait, elle pourrait attendre avec moi dans ma voiture. Elle m’a demandé qui j’attendais et je lui ai alors répondu que c’était ma fille qu’elle a d’ailleurs rapidement reconnue.  
 
La conversation s’est poursuivie et je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander s’il lui en a avait coûté qu’outre le fait que ce soit une bonne personne, son fils devienne torero. Elle m’a répondu que oui au début, mais ensuite elle me dit « Qu’il soit ce que Dieu a voulu ». Je n’oublierai jamais ses paroles et elle m’a dit de demander à Dieu et qu’elle soit ce que Dieu voudra. Ça m’est resté gravé. »
 
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En ce qui concerne les principales difficultés que Miriam doit affronter au quotidien, sa mère précise : « Elle me répète toujours la même chose, à savoir que le toro ne te demande pas ta carte d’identité, qu’il ne sait pas si tu es une femme ou un homme ! Grâce à Dieu, la femme, dans tous les secteurs de la vie et toutes les professions, est en train de s’ouvrir une petite place malgré le machisme latent qui persiste.
 
Tenez compte qu’il y a peu de femmes, ce qui est fait pour se sentir orgueilleuse. Il y a peu, elle se trouvait en France pour une sorte de tentadero où il n’y avait que des femmes (NDLR : Fiesta campera chez Barcelo le dimanche 10 avril). Ils l’ont remerciée, alors qu’elle pensait ne rien être pour mériter cet honneur, mais elle a aimé le fait que ça se produise parce que nous devions nous entraider et que pas à pas, nous ouvrons une brèche. 
 
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C’est une profession difficile et tant qu’elle est respectée et qu’elle se respecte elle-même, il n’y aura pas de problème. Mais il est certain qu’actuellement les gens ne respectent rien. C’est un milieu qui a toujours été dominé par les hommes et les femmes vont maintenant se faire une place.  Je suis bien consciente que, comme dans la vie, il y aura des gens qui aimeront et d’autres qui n’aimeront pas. C’est pourquoi elle doit seulement être elle-même. »
 
Le message à adresser à sa fille pour qu’elle suive ce chemin sans jamais désespérer ? « Qu’elle continue à être ce qu’elle est, qu’elle continue à se battre pour ses rêves. Il y aura toujours des hauts et des bas, mais qu’elle poursuive ses rêves, sans hâte que tout se produise. Elle transmet ce qu’elle ressent… »
 
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Entre admiration et crainte, entre amour maternel et appréhension du danger couru, María a exprimé son ressenti sincèrement. Ce week-end, la protégée de Serge Alméras accompagnera sa fille à Bougue pour le fameux Bolsín qui représente une belle rampe de lancement et un sacré challenge pour de futures vedettes. Alors on va souhaiter le meilleur à la torera, bien entendu, mais aussi à celle qui à l’écart, dans l’ombre, attendra une fois de plus de ses nouvelles en rongeant son frein. Dur métier que celui de mère de torera, non ?