Dimanche 28 Avril 2024
PATRICE
Vendredi, 15 Avril 2022
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Eugenio Noel : L’anti-torero, aussi flamenco qu’un torero… (2)
 
« … Ainsi, Noel voulait montrer au public que, de la même façon que les géants n’étaient pas des moulins à vent, les toreros n’étaient pas des héros, mais des marionnettes vêtues de paillettes. Eugenio Noel commença sa première tournée à travers l’Espagne en décembre 1911, dans un Salon républicain de Bilbao, et l’acheva en janvier 1914, à Jerez de la Frontera, dans le Salon des Arts graphiques. 
 
Pendant vingt-six mois, il parcourut soixante-dix villes, dans lesquelles il multiplia ses conférences – au nombre de trois cents – et ses interventions publiques contre les corridas et le flamenquismo et, ce, à contre-courant avec son époque qui portait au pinacle Joselito et Belmonte. 
 
Ces campagnes, pour lesquelles il mettait en œuvre toute une batterie de provocations, se réalisaient à travers des conférences et des articles. Dans « Arte de dar una Conferencia antiflamenquista », il raconte son périple, ses aventures, l’accueil qu’il reçut, la haine de ses ennemis, la difficulté à s’imposer, le rejet dont il fut l’objet, et son obstination, malgré tout, à parcourir autant de villes d’Espagne qu’il lui était possible de le faire en prêchant contre les courses de taureaux et leur conséquence, le flamenquismo. 
 
Au début, ses conférences étaient gratuites, mais il se rendit compte très vite du profit financier qu’il pouvait en tirer. Il décida donc de se faire payer par les centres dans lesquels il se rendait : Les Cercles républicains, les Centres socialistes, les Maisons du Peuple, les Casinos aristocratiques, les Cirques, les Théâtres, les Ateneos, s’ouvrirent tout grand à l’humble écrivain. 
 
Le coût ? Plusieurs milliers de pesetas. 
 
Le public était tout aussi nombreux que disparate, « millionnaires et parias, monarchistes et gens de gauche, […] une infinité de flamencos et d’aficionados enclins, comme dans les corridas, au scandale et à la juerga » qui venaient vraisemblablement pour se moquer de lui ou tenter de faire échouer ses conférences. Et l’orateur prit le parti de s’adresser à eux dans leur propre langage, avec tous les termes techniques du caló, usant de cette verve qui le faisait passer pour un clown, 
 
Mais l’approbation était loin d’être unanime. Dans certaines bourgades, l’accueil était souvent hostile, Noel essuyait les refus et peinait à trouver un local où parler, ou bien il se plaignait du traitement qu’il recevait. Ces mises en scènes, stratégiques, servaient à Noel de supports publicitaires. 
 
Pour mieux provoquer l’ennemi, il se rendait directement sur le terrain de bataille : les arènes. Il raconte comment il décida d’assister à une corrida de El Gallo, à Valence, persuadé que sa présence gâcherait le spectacle aux aficionados et qu’il serait l’objet de moqueries et d’insultes. 
 
Ce fut le cas. 
 
Dans le témoignage qu’il en donne, on constate une jouissance mal contenue de se sentir la cause des huées générales, tout en adoptant une attitude de martyr, seul contre tous, que l’on retrouve dans tous ses écrits. Noel, tel un scientifique, observait ses cobayes avant de tirer les conclusions adéquates en fin d’expérience : « Ils ont bien fait, ceux qui m’insultèrent, ceux qui sifflèrent, ceux qui applaudirent, ceux qui réclamaient à cor et à cri que je parle ; ils se manifestèrent tels qu’ils sont en réalité, des neurasthéniques, des hyperesthésiques, des hystériques, […], mais moi, en revanche, je les observais fixement tel un médecin et j’étais convaincu que j’étais face à une race gravement malade de la moelle et cela me confirmait dans l’idée que le torero, inconsciemment, est le responsable de tous les malheurs nationaux ».
 
La réaction du public avait été à la hauteur de ses attentes et rendait d’autant plus efficace sa campagne. Il se délectait à l’idée de penser que sa présence à la corrida aurait la vertu de se répandre comme une traînée de poudre dans toute la péninsule, ce qui était synonyme de victoire puisque c’était là le dessein qu’il poursuivait. 
 
A Valencia, Rafael el Gallo lui brinda son toro avant de lui jeter à la figure l’oreille qu’il avait coupée. Noel écrivit alors un article ironique en son hommage, « La oreja de Amargoso » dans « El Pueblo ». Ce trophée, il le donna à manger à trois chats. Provocateur né, il parvenait à ce que, en étant pris en photo avec lui, ses propres ennemis (les toreros) soient les agents naïfs d’une propagande que certains quotidiens refusaient de lui faire. Celle où il pose avec El Gallo fit le tour des journaux qui s’empressèrent de la publier. Véritable stratège d’une armée dont il était le seul soldat, il s’offrait volontiers comme la cible des attaques adverses. Son intrépidité insolente lui jouait souvent des tours.
 
(A suivre…)
 
Patrice Quiot