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PATRICE
Vendredi, 25 Mars 2022
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La prémonition de Marcel…
 
11 juillet 1936.
 
Dans la salle des cartes du quartier général de Melilla, une vingtaine d’officiers sont réunis.
 
Pas un bruit.
 
Une chaleur de forge.
 
La consigne a été ainsi chuchotée : « Le 17 à 17 ».
 
Soit le 17 juillet à 17 heures.
 
Ces officiers sont jeunes. Ils sont l’avant-garde du soulèvement militaire qui va faire basculer l’Espagne dans la guerre civile. 
 
Une guerre civile latente depuis quelques années dans la péninsule, surtout depuis les élections législatives de février 1936 qui ont donné aux Cortes une majorité en sièges au Front Populaire.
 
Le 16 juin 1936, devant l’assemblée des Cortes, le ténor de la droite réactionnaire, José Calvo Sotelo, ancien ministre des Finances du général Primo de Rivera, avait dressé un bilan personnel des premiers mois du Frente Popular : 160 églises détruites, 251 autres incendiées, 253 attentats contre les locaux publics ou privés, 269 meurtres politiques…
 
Lorsqu’il se rassied, Dolores Ibárruri, la future « Pasionaria », députée communiste, le désigne du doigt et lui dit : « C’est ton dernier discours ! ».
 
Le 13 juillet, Calvo Sotelo est assassiné par des gardes d’assaut.
 
Quatre jours plus tard, l’Espagne sera à feu et à sang.
 
Dans l’édition de La Petite Gironde du 16 juillet 1936, Marcel Grand « Don Severo » publie sa chronique de Pamplona.
 
Prémonitoire.
 
Son titre : « La dernière corrida de Pamplona. ».
 
Sa fin « A l’an prochain si Dieu le veut ».
 
Il faudra attendre quatre ans pour fêter à nouveau la San Fermín.
 
« Don Severo », ne reviendra à Pamplona, en passager clandestin, qu’en 1947 pour voir toréer « Manolete ».
 
« Pamplona, dimanche 12 juillet 1936 ; La dernière corrida de Pamplona.
 
Le dimanche 12 bénéficia et du manque de souvenir, chez le public, du résultat d’autres corridas de ce calibre, et de l’appoint dominical favorisant la venue à Pamplona pour la journée, de toute la campagne environnante, et de l’afición des provinces voisines et du Midi français, en interminables caravanes d’automobiles, d’autobus et d’autocars par centaines.
 
Jamais nous n’en vîmes autant ; jamais la ville ne fut à ce point envahie, et jamais la plaza, le matin, pour l’encierro, n’offrit, sous un beau soleil, coup d’œil plus fantastique. 
 
L’après-midi, pour la corrida, l’entrée fut complète. Et la désillusion de la foule, pendant le spectacle, à peu près égale.
 
Nous ne nous sentons pas le courage d’en faire une bien longue analyse, et le lecteur n’y perdra rien. Disons d’abord que le bétail, les huit superbes bêtes envoyées par don Antonio Pérez de San Fernando – une des plus belles corridas qui se courront probablement cette année – eussent certainement donné dans l’ensemble, un meilleur résultat dans des mains plus expertes. 
 
Tous noirs, les bichos, d’un fort beau type, tous de poids et suffisamment armés, firent avant la corrida le meilleur effet. Très égaux au physique, ils le furent moins au moral.
 
Le premier fut un manso qui esquiva presque toujours le châtiment des piques et qui conserva ses facultés jusqu’au bout. 
 
Le deuxième, brave et dur dans l’attaque, acheva très noble, docile, excellent. 
 
Le troisième le valut presque. Le suivant, sans beaucoup de gaz, termina éteint, quedadito, sans force, mais sans difficulté.
 
Le cinquième, un peu long à attaquer, fut châtié durement par une grande vara de Gallego, la troisième, et finit très facile. 
 
Le sixième fit à peu près la même pelea, reçut un châtiment semblable à la troisième pique de Sevillano, et arriva un peu figé au dernier tercio. 
 
L’avant-dernier fut brave dans ses trois premiers assauts, douta beaucoup pour le quatrième, et finit insipide mais toréable. Enfin, le huitième fut brave et noble dans toute sa lidia. 
 
Le quatuor de matadors – tous des jeunes – fit rarement merveille, malgré tout ce que pourra alléguer la presse madrilène, chargée « d’arranger ça ».
 
« El Estudiante » (rose et or) est un styliste apte à placer de-ci de-là quelques suertes bien faites, mais c’est un torero sans recours et un bien piètre estoqueador. Il dessina quelques honnêtes veronicas, fit deux quites par gaoneras, corrects, et pas grand-chose de plus. Il ne put rien contre le manso plein de facultés du début, et le tua mal après cinq attaques anémiques avec l’estoc (bronca générale). Une faena mobile et décousue au quatrième, facile, avec des détails heureux, sincères, mais le tout sans plan, sans maîtrise, et une estocade haute poussée avec plus de force que de coutume. 
 
Ovation, tour de piste, et oreille coupée, mais finalement refusée.
 
« Curro Caro » (noir et or) s’appliqua à la capa, aux quites et à la muleta, mais sans grand résultat. Son trasteo à l’excellent et si docile deuxième bicho, fut très insuffisant à tous les points de vue. La presse, que le muchacho et son fondé de pouvoir chargent du plus clair des succès claironnés chaque lendemain de corrida, ne changera rien à la médiocrité du travail de « Currito » pour ceux qui ont assisté à la función. Faena sosa, sans montant, sans cachet, inégale, sans émotion ni vérité, un pinchazo en se jetant par côté, et une estocade en avant et un peu en travers à toro arrêté (tour de piste et… sifflets). Le toro, lui, méritait une ovation.
 
Au sixième, que le matador « brinda » au public, la vulgarité et l’insuffisance s’accentuèrent plus encore. On ne cesse de penser, de dire, d’écrire et de répéter que les corridas de huit toros sont « rarissimement » bonnes et s’achèvent fastidieuses. Le diestro dansa beaucoup, peu décidé à se risquer pour tirer vraiment quelque chose de l’adversaire, et après un travail décousu à l’extrême et quelques gestes cabotins qui ne portèrent pas, piqua mal deux fois et laissa finalement l’arme à fond, un peu par côté, et sans se risquer beaucoup (bravos et sifflets).
 
« Rafaelillo » (mastic et argent) manque évidemment de style et de classe, mais continue à faire preuve de valeur dans tout son toreo. 
 
Rien de bon avec la capa, qu’un quite très opportun au deuxième toro. Avec son premier, on dut lui applaudir sa volonté à toréer tout de suite de la gauche par naturelles vaillantes, de peu de ligne et de galbe, mais serrées et sincères. Le trasteo fut en divers temps, inégal, mobile, mêlé de suertes honnêtes et de médiocres, d’adornos, de rodillazos faits à porter des cornes, mais l’ensemble fut inefficace, sans aucune action sur l’ennemi seulement brave et encore très vif. Et avec l’acier, cela valut moins encore : cinq pinchazos très médiocres et un descabello à toro encore bien vivant, après douze minutes de faena sans avis de la présidence.
 
Même début décidé au septième, naturelles de la gauche liées à la passe de poitrine, trois rodillazos valeureux, tout le trasteo à base surtout de vaillance, une demi-estocade un peu horizontale mise avec force et un descabello encore à toro vif (ovation et oreille ; cette dernière de trop). 
 
Pericas (rose et or) trouva le quatrième Pérez sans allant et probablement pas à son goût, si l’on en juge par son manque de volonté.
 
À l’an prochain si Dieu le veut ».
 
Don Severo.
 
Datos
 
Marcel Grand « Don Severo »
 
Né à Bordeaux en 1889, décédé le 30 décembre 1958.
 
Au début des années 1920, il écrit pour le quotidien La Petite Gironde, et pour de nombreuses publications françaises et espagnoles.
 
Il arpente la péninsule pour couvrir les ferias.
 
Marcel Grand fut un témoin de plus de soixante ans de corridas. Il fit la connaissance de tous les grands toreros de cette époque comme Reverte, Guerita, Belmonte, jusqu’à Ordóñez et Dominguín.
 
Don Severo est le premier chroniqueur, du moins en France, à avoir fait évoluer cette activité vers une vision plus élargie que le compte-rendu sec de corrida qui se limitait, le plus souvent, à une sorte de bilan comptable.
 
Anecdotes
 
Don Severo conserva deux habitudes qui, jusqu'au dernier jour de sa vie, ne le quittèrent jamais : Celle de ne boire que de l'eau – strictement et exclusivement de l'eau – et celle d'apprécier d'autant mieux un spectacle qu'il lui avait peu coûté.
 
A une corrida à Saint-Sébastien, il était chaussé de pantoufles de feutre. A un ami qui le questionnait sur la chose, il avoua être venu jusqu'à Hendaye en train, sur les tampons d'un wagon de marchandises.
 
En mai 1941, La Petite Gironde l’envoie à Bayonne pour couvrir deux jours de corridas.
 
L’événement est organisé à la demande expresse des autorités d’occupation.
 
Don Severo est étonné de voir les hommes de la Wehrmacht se diriger vers les arènes en bon ordre en chantant. Il l’est plus encore quand il constate le silence total qui règne dans les gradins, rompu seulement par un speaker qui commente l’événement et signale les moments où il faut applaudir.
 
« Quel contraste avec l’agitation, la turbulence, la rumeur, les cris, les interpellations des foules méridionales qui occupaient la plaza quand le pays vivait en paix » écrit-t-il.
 
Patrice Quiot