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Mardi, 18 Janvier 2022
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Pampelune : San Fermín et sanfermines…
 
À l’inverse de la San Isidro, il est des exemples où la fête urbaine semble surgir de la tauromachie elle-même.
 
C’est le cas à Pampelune où la célébration de la San Fermín et l’omniprésence des taureaux ont tendance à fusionner, ou plutôt, à ne plus tout à fait pouvoir être séparées par la rigueur analytique, sans rater l’essentiel.
 
Les fêtes de San Fermín ont acquis une renommée internationale aussi forte que le Carnaval de Venise ou celui de Rio. Ernest Hemingway est pour beaucoup dans la réputation et le rayonnement de la San Fermín en publiant, en 1926, le roman « Le soleil se lève aussi », intitulé Fiesta dans le monde hispanique. Pampelune d’ailleurs le sait et le montre. La ville a rendu hommage à l’écrivain en édifiant un buste près des arènes, inauguré lors de la San Fermín de 1968, en l’honneur de celui qui fit connaître la féria.
 
Sur ce buste est gravé « À Ernest Hemingway, prix Nobel de littérature, ami de ce peuple et admirateur de ses fêtes, qui sut décrire et faire connaître la ville de Pampelune. San Fermín. 1968 ». Sa vénération rivalise avec celle du saint patron. De nombreuses plaques, dans le vieux centre, mentionnent la fréquentation des lieux par Hemingway. Pendant la San Fermín, est organisé chaque année un concours de sosies pour élire le meilleur Ernest Hemingway.
 
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Qui est le rival de celui que l’on a adopté ici sous le nom de Don Ernesto ? Firmin est le fils d’un des sénateurs de la Pampelune romaine du IIIe siècle, Firmus, converti au christianisme. Firminus (Fermin) répondit à la vocation d’évangélisateur et fut ordonné prêtre. Il revint à Pampelune une fois nommé évêque. La tradition fait de lui le premier évêque de Pampelune qui fut décapité à Amiens, lors d’une pérégrination évangélisatrice menée loin des terres navarraises. La liturgie fixa le jour du martyre le 25 septembre et le jour de la saint Firmin le 10 octobre à la date de son entrée dans la ville.
 
À Pampelune, les actes religieux en l’honneur de San Fermín ne sont pas attestés avant le XIIe siècle. Contrairement aux apparences, San Fermín n’est pas le saint patron de la ville, mais de la Navarre, rang qu’il partage avec saint François Xavier. Les premières sources qui évoquent l’existence de courses de taureaux à Pampelune datent du XIVe siècle. Jusqu’en 1590, la San Fermín était fêtée à la date du 10 octobre, mais cette année-là, la fête fut noyée sous un déluge. Le changement de date pour fêter la San Fermín eut lieu l’année suivante en 1591, quand les édiles eurent l’idée de faire coïncider la célébration du Saint Patron navarrais avec la foire au bétail, fixée généralement entre la Saint-Jean et la mi-juillet.
 
Le 7 juillet, qui tombait cette année-là un dimanche, fut décrété officiellement par l’évêque de Pampelune, Bernardo Rojas, jour de la San Fermín. Beaucoup d’exégètes locaux font remonter la naissance des Sanfermines à cette date. La première San Fermín dans sa nouvelle version estivale dura deux jours et semble avoir rassemblé les principales composantes de la fête-féria : actes religieux, foire commerciale, divertissements en tous genres (théâtre, danse, musique) et courses de taureaux. Au début du XXe siècle, la féria taurine comptait six corridas et constituait déjà une longue féria pour l’époque.
 
Aujourd’hui, l’élément le plus connu des fêtes de Pampelune est l’encierro, couru chaque matin à 8 heures précises, du 7 au 14 juillet. Au-delà de l’encierro, les manifestations taurines semblent rythmer le temps et structurer l’espace de la fête urbaine, sans pour cela éclipser la célébration du saint patron. La fête débute en réalité la veille avec au douzième coup de midi l’embrasement du chupinazo depuis le balcon de l’hôtel de ville sur la Plaza Consistorial. Le chupinazo est une fusée pyrotechnique mise à feu par un membre du conseil municipal, désigné par le maire en fonction de la majorité électorale. Cette habitude date du début des années 1940. La foule est réunie sur la place de la mairie et attend le départ de la fusée qui tonne comme un coup de canon pour annoncer le démarrage des festivités. Alors, tous en cœur, les pamplonicas poussent le cri traditionnel « ¡ Viva San Fermín, Gora San Fermín ! » et attachent à leur cou, le fameux foulard rouge qui complète la tenue blanche.
 
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En matière de costume, ce que la tradition voit comme immémorial débute en 1931, lorsque le peintre navarrais Juan Marquina, membre de la « peña » La Veleta, s’habille en blanc, avec une ceinture rouge et un foulard rouge, pour rappeler le martyre du saint et sa décapitation. En quelques années, les blouses noires des membres des autres « peñas » sont rangées au placard, à Pampelune, puis dans toute la Navarre, ainsi que, plus tardivement, dans de nombreuses villes du Sud-ouest français.
 
À en croire les événements du chupinazo de 2006, dans le rituel millimétré des fêtes de Pampelune, les mots ont leur importance. En effet, cette année-là, le conseiller municipal Javier Eskudi, chargé de lancer le chupinazo, s’est refusé à prononcer depuis le balcon le traditionnel cri d’ouverture, remplacé pour la circonstance par « ¡ Gora Fermindonorean Jaiak, Vivan las fiestas de San Fermín ! ». Ce n’est en aucun cas le discours prononcé d’abord en basque qui créa la polémique, mais le fait d’avoir remplacé « Vive San Fermín ! » par « Vivent les fêtes de la San Fermín ! », au point que le maire de Pampelune, Yolanda Barcina, s’empara du micro pour rétablir la formule officielle comme l’exige la tradition. Javier Eskudi justifia sa position dans un entretien en expliquant qu’en tant qu’agnostique, il se refusait à crier « Vive San Fermín ! » et ajouta que l’événement était mondialement connu en tant que fêtes de la San Fermín. Cette polémique pose très explicitement le problème de l’identification de ce qui est fêté, lors des fêtes de Pampelune et, plus généralement comme nous l’avons suggéré, lors de toutes fêtes.
 
Dès le 6 juillet, la fête explose au rythme des nombreuses « bandas » et du groupe musical de la municipalité, La Pamplonesa, qui arpentent les rues sans discontinuer. En plus de la fête spontanée s’égrène, toute la semaine, une longue liste d’actes officiels. Le programme des fêtes de 2006 en recense 302, parmi lesquels les défilés de géants, la fête foraine, les feux d’artifice, les concerts, divers spectacles de rues, les cérémonies religieuses et les événements taurins. Les cérémonies religieuses commencent le 6 à 20 heures par les vêpres en l’honneur de San Fermín, dans l’église de San Lorenzo qui abrite la chapelle du saint. Le 7 juillet ont lieu la procession et la messe solennelle.
 
Ces litanies constituent un premier lien carnavalesque entre la dimension religieuse et la dimension tauromachique de la fête. La foule n’a aucun mal, en cette première nuit de fête, à atteindre le petit jour pour assister ou participer à l’encierro. La veille, a lieu chaque soir vers 23 heures, l’encierrillo, qui se déroule sans coureur, permettant de transférer les bêtes d’un premier enclos (los corrales del Gas) vers l’enclos du départ de l’encierro (los corralillos de Santo Domingo). L’encierro démarre lorsque l’église de San Saturnino sonne les coups de 8 heures. Alors, la première fusée est lancée pour annoncer l’ouverture de l’enclos où sont gardés les taureaux de combat. Une deuxième fusée annonce que tous les taureaux sont sortis. Quelques minutes avant que l’encierro ne commence, les coureurs réunis devant l’image pieuse de saint Firmin située dans une niche au bas de la Cuesta de Santo Domingo demandent, le quotidien du jour roulé dans la main, la protection du saint par trois fois, à 7 h 55, 7 h 57 et 7 h 59, en chantant :
 
A San Fermín pedimos,
Por ser nuestro patrón,
Nos guíe en el encierro,
Dándonos su bendición.
 
Les corridas commencent à 18h30, mais elles créent un temps et un lieu d’effervescence qui déborde largement le spectacle lui-même, de même que les quelques 2 ou 3 minutes de l’encierro structurent l’espace-temps de la fête. Une bonne heure avant le début de la corrida, les « peñas » pénètrent dans l’arène par la même porte qui a vu passer les coureurs. Il existe officiellement 16 « peñas » pamplonaises regroupées au sein d’une fédération. Pendant les fêtes convergent d’autres associations et d’autres formations musicales : « bandas » du Sud-Ouest, parfois « peñas » du Sud-Est et fanfares venues d’ailleurs.
 
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La première « peña », La Única, a été créée en 1903. Les « peñas » défilent en piste en jouant de la musique, agitent des banderoles humoristiques sur des thèmes d’actualité locale, nationale et internationale. Ils gagnent progressivement leur place dans les gradins situés au soleil, ainsi que dans les parties les plus hautes et les moins chères de l’arène. Dans cette zone, l’ambiance festive ne fera que monter en puissance tout au long de la corrida quels que soient les événements qui se déroulent en piste. Les boissons coulent à flot au sens propre et au sens figuré : vin, sangria, bière, alcools forts et divers mélanges qui combinent presque à l’infini les possibilités. À partir du troisième taureau, circulent également les mets les plus divers préparés pour être consommés dans les arènes, plateaux de charcuterie, croquettes, tortillas, empanadas, bocadillos ainsi que des plats en sauce, ragoûts, boulettes de viande, morues, tripes, oreilles, mangés à grand renfort de pain et distribués tous azimuts. Les « peñas » chantent et se répondent au son ininterrompu des grosses caisses. Le contraste est fort avec les spectateurs plus conventionnels situés à l’ombre. Pas d’orchestre spontané, l’atmosphère y est plus retenue, les tenues vestimentaires plus soignées, sans que l’ambiance pour autant ne soit guindée.
 
Sur ce point, les descriptions des arènes de Pampelune souffrent souvent de deux approximations : l’une concernant le public assis à l’ombre, l’autre concernant le public installé au soleil. Souvent l’existence même d’un public à l’ombre est quelque peu occultée par l’impact visuel et sonore des « peñas » faisant alors des arènes un cratère rugissant uniformément embrasé par la fête. Et lorsque le public à l’ombre est pris en compte, les hommes en complet et les femmes en robe sont souvent cantonnés dans un rôle exagérément sérieux, comme s’il était besoin d’accentuer un contraste déjà si fort. De même dans une accusation excessive des contrastes, la plupart des descriptions du public du soleil tendent à considérer qu’il s’intéresse à toute autre chose qu’à la prestation en piste des hommes et des taureaux. Là encore, il conviendrait de nuancer le propos. On préfère affirmer que le public du soleil se désintéresse lorsqu’il ne se passe rien d’exaltant, jusqu’à tourner le dos à la piste en signe de protestation lorsque la prestation est particulièrement ennuyeuse.
 
Ce public est également rattrapé en permanence par la fête dans les gradins, qui constitue un intérêt en soi, mais il sait aussi faire preuve d’une ferveur immense lorsque le torero réussit à capter son attention. Le nom du torero El Juli n’a sans doute jamais été hurlé aussi fort qu’à Pampelune lorsqu’il triomphe : le cri « ¡ julijuli ! », avec une forte accentuation de la jota, accompagné à la grosse caisse, en est même devenu un chant rituel pour accueillir le torero, acclamé par les uns, sifflé par les autres.
 
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A Pampelune, la féria taurine rebaptisée, en 1959 « la feria del toro » fait corps avec la ville et les fêtes de la San Fermín. Même si les éléments qui la composent conservent leur raison d’être et leur autonomie, des relations nombreuses se tissent entre les différents objets de la fête, entre les lieux et les pratiques.
 
Sources : « Jeux taurins d'Europe et d'Amérique »
 
Casa de Velázquez
 
Patrice Quiot