Vendredi 29 Mars 2024
AFICIONS

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Les deux aficions : Torista et Torerista. Opposition ou complément ?

Mon cher XXX,

Tu as eu l'amabilité de me transmettre par voie postale, ton dernier spécimen de la Revue Mexico Aztecas y Toros racontant l'éventail de l'aficion en une bonne vingtaine de chroniques. Un texte de ta plume y figure en bonne place et bien sûr, mes yeux lui en ont donné la primeur.

L'aficion a los toros est composée en fait d'une multitude de sections, que le langage des mathématiques appelle sous-ensembles, mais que l'on peut diviser de manière synthétique en deux pôles. L'un qui se fixe sur le torero, et est donc composé d'aficionados dits toreristas, et l'autre, plus axée sur le toro, on la nomme torista. Mais ceux-ci ne sont pas partout disjoints et il existe donc des éléments communs aux deux tendances qui ne suivent jamais une mode, mais sont viscéralement attachées au sujet la possédant.

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Nous n'avons pas la même, c'est évident, or cela ne nous oppose pas dans le fond, mais ne nous rapproche pas non plus puisque nous ne regardons ni ne ressentons pas les mêmes émotions dans le déroulement de la même corrida. En gros, tu regardes le cartel et moi les ganaderías. Les exemples foisonnent d'ailleurs et quelques souvenirs me reviennent en mémoire, pour des corridas in situ, d'autres vues sur la chaine Toros, ou encore un mélange des deux à savoir l'un étant sur place et l'autre la regardant en vidéo. Dernièrement et pour plusieurs raisons, tu étais plus souvent à côté du sable, et moi face à des pixels.

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Nous avons tous les deux frotté nos pantalons sur le béton rugueux des étagères des arènes de tous poils, dans d'innombrables férias d'un côté et de l'autre des Pyrénées d'une part et de l'Atlantique d'autre part. Et quand nous parlons toros ou toreros, c'est le fruit d'une expérience qui nous permet d'avoir une vue singulière et précise sur notre passion commune. Il est donc amusant d'essayer d'en retrouver la source, j'en ai fait le cheminement intellectuel de remontée rapide, mais toi, tu nous la présente dans le texte qui m'a instantanément happé puis phagocyté.

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Cela nous ramène à tes onze ans, dans une plaza française aussi délicieuse que l'est son jambon, et avec un Maestro Cordouan qui a fait date au XX° siècle puisqu'il est devenu une vedette incontournable du petit écran noir et blanc en déplaçant les foules. A chacune de ses apparitions, on accrochait le panneau de no hay billetes. Est-ce pour cela qu'il a représenté la quintessence de la toromachie ? La réponse est évidemment non puisque jusqu'à ce jou,r personne ne l'a été mais beaucoup en constituent par concaténation, une vision approchée. Il ouvrira cependant la voie à la starisation télévisuelle dans laquelle se sont engouffrés bon nombre de jolis minois à la suite de Jesulín. Ce qui provoquera d'ailleurs un changement vocal et sonore du public lors des tours d'honneurs où l'on entendra plus souvent « guapo » que « torero » quand le beau Cayetano entamera des vueltas contestables au regard des qualités intrinsèques de ses adversaires choisis selon des critères trop spécifiques à la montée en puissance de sa carrière programmée par le mundillo, donc à caractère dominant très pécuniaire.

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Moi, ma première corrida fut à l'été 1962 à la monumental de Barcelona. Je comprenais que le torero ait peur, mais c'était le toro qui lui faisait peur. Et c'est cette génération de l'effroi qui m'a toujours guidé. Et malgré les châtiments reçus dès sa sortie du toril alors qu'il était au repos, Maître Toro (c'est lui le Maestro) passe illico au combat pour sa vie. Puis s'enchaînent pique, banderilles, leurres, il doit montrer sa bravoure, il a en lui sa carcasse, son trapío qu'il présente pour la première et la dernière fois au monde des vivants. Il les possède dans ses gênes et cela me fascinera toujours. Je suis et serai donc plus tourné vers le toro que le torero qui aura comme rôle celui de l'exécutant (mais pas exécuteur !) d'un ballet déjà chorégraphié dans ses grandes lignes qu'il devra adapter aux contraintes de l'adversaire. Un partenaire listé tout comme le musicien adaptant son exécution à la sensibilité personnelle qu'il a de l'œuvre qu'il interprète.

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En t'écrivant, XXX, je regarde la retransmission d'une « faena inolvidable » que nous propose la chaine Toros avec « l'ancien » Pepín Liria faisant son retour à la fin des sanfermines de Pamplona en 2018. Si nous étions cote à cote, tu soulignerais le courage du torero pris plusieurs fois pendant son combat, et son pundonor dans la suerte suprême où il s'est engagé droit dans le berceau en se jouant la vie comme un novillero malgré son âge avancé. Et moi, je n'aurai pas regardé le traje de luces ensanglanté et déchiré de Pepín, mais la bravoure de Ruiseñor, ce negro zaíno pensionnaire de Victoriano del Río, de 605 kg sur la bascule, armé en veleto, qui engage les postérieurs pour passer instantanément de l’arrêt au galop, toro au comportement brave (sauvage) dont je ne pourrai hélas pas me souvenir à la pique puisque la séquence, pour moi incontournable du combat, n'est quasiment jamais reprise par la chaîne dans ses replays. Et à la fin, nous nous serions aussi opposés dans les trophées puisque l'arène demandait avec une force étourdissante la seconde oreille pour l'implication du Maestro alors que moi, je n'aurais pas trouvé normal que la dépouille de Ruiseñor soit arrastrée désoreillée car il a vendu chèrement sa peau, avec classe, courage, humiliation (je n'ai pas dit humilité... qui n'a pas le même sens, tu le sais bien, mais au contraire il s'est comporté en Toro Roi qui a défendu son terrain dans lequel a voulu s'immiscer Pepín) et détermination, restant au-dessus du torero et méritant l'honneur de conserver son second appendice en partant vers le desolladero. Les récompenses ne doivent pas uniquement être le fruit des décibels, il existe un règlement pour cela, le président en est le garant.

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Ta première visite taurine s'est passée avec El Cordobés, que tu as revu à Cordoue alors qu'il avait 77 ans et qu'il avait de nouveau repris l'épée. Un cycle s'est effectué alors. Musique et toros se sont rejoints. Les deux Manuel-Manolo se sont rencontrés. Tu nous l'as narré de manière lyrique et émouvante. Il nous reste encore, et malgré les empêchements que nous impose un autre Manu, d'autres rencontres à voir à quatre yeux de deux paires toujours aussi différentes, mais il reste un espoir. Car les sous-ensembles torista et torerista, nous l'avons vu supra, ne sont pas disjoints. Il existe donc au moins un élément commun. Nous arriverons donc bien un jour ou l'autre à être d'accord sur une prestation commune au toro et au torero. Je t'en donne un exemple frappant et reconnu de tous : notre ami YYY qui se dit torista quand il est avec des toristas, et torerista quand il est avec des toreristas. Comme quoi on peut aussi être philosophe de haute volée, malin comme un monosabio, ne jamais choquer les personnes qui s'opposent, mais clef passe-partout de l'aficion française qu'il représente dignement tras el Pirineo devant toutes les instances du mundillo.

Hay que esperar por fin...

Denis Guermonprez.