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Mardi, 23 Mars 2021

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Espagne 1936 (1)... Cojones : Miguel de Unamuno. Discours du 12 octobre 1936 à l’Université de Salamanque...

Vous êtes tous suspendus à ce que je vais dire. Tous vous me connaissez, vous savez que je suis incapable de garder le silence.

En soixante-treize ans de vie, je n’ai pas appris à le faire. Et je ne veux pas l’apprendre aujourd’hui.

Se taire équivaut parfois à mentir, car le silence peut s’interpréter comme un acquiescement. Je ne saurais survivre à un divorce entre ma parole et ma conscience qui ont toujours fait un excellent ménage.

Je serai bref.

La vérité est davantage vraie quand elle se manifeste sans ornements et sans périphrases inutiles. Je souhaite faire un commentaire au discours, pour lui donner un nom, du général Millan Astray, présent parmi nous.

Laissons de côté l’injure personnelle d’une explosion d’invectives contre Basques et Catalans. Je suis né à Bilbao au milieu des bombardements de la seconde guerre carliste. Plus tard, j’ai épousé cette ville de Salamanque, tant aimée de moi, sans jamais oublier ma ville natale. L’évêque, qu’il le veuille ou non, est Catalan, né à Barcelone. On a parlé de guerre internationale en défense de la civilisation chrétienne, il m’est arrivé jadis de m’exprimer de la sorte. Mais non, notre guerre n’est qu’une guerre incivile. Vaincre n’est pas convaincre, et il s’agit d’abord de convaincre ; or, la haine qui ne fait pas toute sa place à la compassion est incapable de convaincre…

On a parlé également des Basques et des Catalans en les traitant d’anti-Espagne ; eh bien, ils peuvent avec autant de raison dire la même chose de nous. Et voici monseigneur l’évêque, un Catalan, pour vous apprendre la doctrine chrétienne que vous refusez de connaître, et moi, un Basque, j’ai passé ma vie à vous enseigner l’espagnol que vous ignorez.

(Premières interruptions :  « Viva la muerte ! »)

Je viens d’entendre le cri nécrophile « Vive la mort » qui sonne à mes oreilles comme « A mort la vie ! » Et moi qui ai passé ma vie à forger des paradoxes qui mécontentaient tous ceux qui ne les comprenaient pas, je dois vous dire avec toute l’autorité dont je jouis en la matière que je trouve répugnant ce paradoxe ridicule. Et puisqu’il s’adressait au dernier orateur avec la volonté de lui rendre hommage, je veux croire que ce paradoxe lui était destiné, certes de façon tortueuse et indirecte, témoignant ainsi qu’il est lui-même un symbole de la Mort.

Une chose encore.

Le général Millán-Astray est un invalide. Inutile de baisser la voix pour le dire. Un invalide de guerre. Cervantès l’était aussi. Mais les extrêmes ne sauraient constituer la norme. Il y a aujourd’hui de plus en plus d’infirmes, hélas, et il y en aura de plus en plus si Dieu ne nous vient en aide. Je souffre à l’idée que le général Millán-Astray puisse dicter les normes d’une psychologie des masses.

Un invalide sans la grandeur spirituelle de Cervantès qui était un homme, non un surhomme, viril et complet malgré ses mutilations, un invalide dis-je, sans sa supériorité d’esprit, éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés.

Le général Millán-Astray ne fait pas partie des esprits éclairés, malgré son impopularité, ou peut-être, à cause justement de son impopularité. Le général Millán-Astray voudrait créer une nouvelle Espagne - une création négative sans doute - qui serait à son image. C’est pourquoi il la veut mutilée, ainsi qu’il le donne inconsciemment à entendre.

(Nouvelles interruptions : « A bas l’intelligence ! »)

Cette université est le temple de l’intelligence et je suis son grand prêtre. Vous profanez son enceinte sacrée. Malgré ce qu’affirme le proverbe, j’ai toujours été prophète dans mon pays. Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader.

Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat. Il me semble inutile de vous exhorter à penser à l’Espagne.

J’ai dit. "

Datos :

- Miguel de Unamuno (29 septembre 1864 à Bilbao - 31 décembre 1936 à Salamanque) est un poète, romancier, dramaturge, critique littéraire et philosophe espagnol.

Miguel de Unamuno figure parmi les plus grands écrivains de l'Espagne de son époque, dont il est particulièrement représentatif : il est décrit comme un homme de passions animé par de multiples contradictions, ce qui en fait un personnage assez typique de l'Espagne de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle.

En 1888, à l'âge de 24 ans, Miguel de Unamuno postule au poste de professeur de basque qui est octroyé à Bilbao par la députation forale de Biscaye.

Unamuno n'obtient pas le poste. Il part ensuite pour Salamanque et, entre 1891 et 1901, il devient professeur de grec à l'université de Salamanque.

En 1897, il traverse une crise religieuse provoquée par une maladie cardiaque dont son Journal intime porte le témoignage. La perte de Cuba lui apparaît comme le symbole du déclin de l'Espagne et devient le point de départ de la Génération de 98, mouvement d'écrivains qui se donnaient pour mission la régénérescence culturelle de leur peuple et qui réunit à côté d'Unamuno, Valle Inclán, Antonio Machado ou encore Juan Ramón Jiménez.

Il occupe les fonctions de recteur de l'université de Salamanque à partir de 1900, mais se voit destitué de sa charge en 1914 en raison de son hostilité envers la monarchie. Ses articles virulents lui valent d'être contraint de s'exiler aux îles Canaries en 1924. La chute de Primo de Rivera provoque son retour six ans plus tard, en 1930. Il retrouve alors son poste de recteur lors de la proclamation de la République.

Il meurt assigné à résidence.

- Bombita : Mort de Ricardo Torres Reina dit « Bombita », né le 20 février 1879 à Tomares, mort à Séville le 29 novembre 1936.

Picasso :

Début août 36 : Départ pour Mougins, sur les collines dans l’arrière-pays de Cannes, où il retrouve Paul Eluard. Ils sont rejoints par les Zervos (critiques d’art et éditeurs), Man Ray et René Char. Dora Maar, rencontrée à l’automne précédent à Paris, par l’intermédiaire d’Eluard et des surréalistes, séjourne à Saint-Tropez, puis à Mougins. Début de leur liaison.  

Automne : Contraint d’abandonner Boisgeloup à cause du partage avec Olga, il séjourne à Paris et à Tremblay-sur-Mauldre, où sont installées Marie-Thérèse et Maya, dans un atelier prêté par Vollard.   Portait de Dora Maar : Voir ICI .

Littérature francaise 1936 :

Paul Éluard : Les Yeux fertiles.

       Louis Aragon : Les Beaux Quartiers

Georges Bernanos : Journal d'un curé de campagne (mars).

Louis-Ferdinand Céline : Mort à crédit (mai)

Roger Martin du Gard : L'été 1914

Henry de Montherlant : Les Jeunes Filles (juillet).

Patrice Quiot