Vendredi 19 Avril 2024
PATRICE
Samedi, 06 Mars 2021

esp05ph

Autopista y carreteras : Etrange début d’année...

Envie de routes de vacances, de soleil et de ciel bleu, d’amandiers en fleur et de grues qui passent.

Et aversion des sens interdits d’une morbidité donnée en spectacle.

Clignotant aguicheur du printemps qui s’annonce.

Et coup d’œil attentif dans le rétroviseur d’une autoroute de plus de soixante-dix années si soudainement  passées.

Autoroute où j’ai longtemps roulé vite, sans prudence et me moquant de l’autorité des gendarmes, avalant des milliers de kilomètres, ignorant souvent sans les regarder des pratiques établies qui ne me paraissaient pas en phase avec ce que j’imaginais.

J’allais comme les toreros, qui, dans la nuit de leur coche de cuadrilla, ne songent pas aux panneaux et aux limitations, occupés qu’ils sont à repenser la corrida du jour et à imaginer celle du lendemain, composant dans leur sommeil ébloui de phares la faena qui changera leur vie.

J’allais comme un enfant rempli de caprices, d’oppositions et de révolte ; j’allais comme ces clochards rencontrés dans les rues de White Chapel ; j’allais comme «El Palestino», qui s’imaginait dans ses folies de cape rose avoir un jour l’honneur de toréer devant Arafat un dimanche de San Isidro ; j’allais comme ces mendiants infirmes rescapés républicains de la bataille de Brunete qui, sur la plaza Santa Ana de Madrid, narguaient avec l’arrogance de leurs moignons la Guardia Civil de Franco.

J’allais avec beaucoup de détermination et des milliards de desseins.

Je croyais que les anges me souriaient au fronton des églises et que Blaise Pascal était mon voisin de tendido ; je croyais que Chateaubriand relisait mes pauvres lignes, je croyais que j’étais un soldat de l’an II et que je partageais mes copitas avec Blaise Cendrars, manchot en képi blanc.

Je croyais que Joselito m’ouvrirait sa cape et la NRF ses portes.

Je croyais que la rédaction d’un texte ou d’une reseña devait rouler comme un grand fleuve traversé par les conquérants, les amoureux ou les marchands d’épices, mais je savais pareillement que, pour ce faire, mes phrases n’étaient que les pâles copies des couleurs du Titien.

Comme je savais que je ne pourrai jamais courir un encierro et me mettre devant un toro.

Aujourd’hui, arrêté sur le parking de cette autoroute, je considère avec sérénité mes projets, mes échecs, mes espoirs, mes ambitions, quelques batailles gagnées et beaucoup d’autres perdues.

J’ai aimé à la folie toutes ces années.

J’ai aimé le Montpellier de Georges Frèche où j’ai aussi vécu, j’ai aimé le Nîmes de Tailhades, de Jourdan, de Bousquet, de Clary, de Fournier, ses jours de grand soleil, de vent et ses nuits de Féria ; j’ai aimé l’espérance de soixante-dix mois d’avril, j’ai aimé le bruit sur l’eau des pierres du Gardon, j’ai aimé l’île de Wight de Dylan et de Jimmy Hendriks, j’ai aimé l’Andalousie des coquelicots, celle des ventas au bord des routes ; j’ai aimé l’Atlantique et la Méditerranée,  l’Old Trafford de Manchester  et Jean Bouin.

J’ai aimé les corneilles volant au-dessus du camp de Sissone, les vagues et les rochers de l’île de Sein, les cailloux du Larzac ; j’ai aimé Paris et Londres, les arènes de Dax, celles de Mont de Marsan, Bayonne, la Moselle de la haveuse et du schnabo comme le Nord des corons, de Bollaert et du genièvre ;  j’ai aimé la Castellana de Madrid autant que les chênes verts de Salamanque, j’ai aimé les clochettes des chèvres qui, au pied de l’Aigoual, passaient devant les maisons de Valleraugue comme j’ai aimé la calle Iris, le Malagar de Mauriac, un fronton à Mauléon-Licharre, le Rhône à Arles, un coteau à Mouzens et les travestis de Sanlúcar.

J’ai aimé les conneries de comptoir, les embuscades de plaisir partagé et les étoiles des nuits de la Crau.

J’ai aimé les baisers de sable des plages du Grau du Roi, les voyages solitaires et ceux entre amis, j’ai aimé  les escapades amoureuses, la Croisette avec ma fille et mon frère en février, Castellón et Valencia en mars, Vic-Fezensac à la Pentecôte, St Vincent de Tyrosse en juillet, Saragosse quand il commence à faire froid pour le Pilar d’octobre ; j’ai aimé les bibliothèques pleines de livres, les Who de Roger Daltrey et le vin des vignerons.

J’ai aimé cette longue autoroute dont je prends aujourd’hui la dernière sortie et dont je conserverai le ticket de péage.

Le deuxième chemin du voyage, empruntera des voies plus étroites pour m’y promener un œillet entre les dents, canne à la main, pochette au vent et un livre dans la tête.

Ce chemin sera plutôt un chemin de lune, un de ces chemins gitans qu’aimait Federico qui, entre Aznar et Alcafar, tomba mort, du sang sur le front et du plomb dans les entrailles.

Ce chemin entre les cyprès et une haie de fleurs de citres, ce chemin de l'Alhambra, ce chemin de liberté sauvage détachée des contingences, ce chemin de sable et d’encre, ce chemin de repas partagés autour d’une table ouverte, ce chemin du boulevard Victor Hugo qui descend de mon enfance jusqu’aux arènes de Nîmes, ce chemin fut celui de ma vie.

Faisant fi des balises, j’ai peut-être trop pris de voies détournées, m’éloignant avec délice des sentiers battus sur lesquels des petits poucets essayaient de me laisser des pierres blanches pour me ramener à la raison.

Au désespoir de mes vieux amis, je me suis peut-être trop délecté des herbes folles qui composaient l’absinthe que buvait Rimbaud, trop perdu dans l’observation des mêmes constellations que voyait le capitaine Achab dans sa quête de la baleine blanche ; je me suis peut-être trop laissé tenter par les sirènes d’Ulysse, les saillies de Voltaire, la chaleur de l’alcool, l’âcreté du tabac brun, la sorcellerie d’une passe de Camino ou de Morante ou par les jupes des filles.

Mon corps, mon fidèle compagnon, m’a formidablement bien accompagné dans ces aventures et, chaque jour, je l’en remercie.

Ce qui est certain, c’est, qu’au risque de me perdre, j’ai toujours  préféré les venelles sombres où on marche dans la boue aux allées des parcs bordées de buis bien taillé.

J’ai préféré François Villon à Albert Samain, j’ai préféré Dámaso à Perera.

Probablement parce que j’ai toujours souhaité rester dans l’inconcevable, mais avec des repères éblouissants.

Probablement aussi parce que je sais que, plus que les broderies sur le vide, la vie est là, dans ses dérives, ses outrecuidances, ses cornadas, dans ses dangers, ses ravins, dans ses tourmentes.

C’est elle qui va, pulsant fort comme le sang dans la fémorale et c’est à elle qu’il faut donner sens car cet essentiel a une valeur ultime.

Aussi, quand je réfléchis à ce que sera le reste de ma vie, des raisons déraisonnables m’encouragent à continuer d’aller sur les autoroutes et les chemins.

Ne serait-ce que pour essayer d’y trouver la source d’autres faenas langagières.

Si Dios quiere.

Of course.

Patrice Quiot