Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Samedi, 12 Décembre 2020

am12ph

Le perroquet de l’ «Amatcho»...

Dans «Un cœur simple», Flaubert met en scène la vie de Félicité, traversée par les malheurs et les déceptions.

Félicité synthétise tout ce qu'est une « créature opprimée ».

Elle reçoit en cadeau le perroquet Loulou.

A la mort de Loulou, elle le fait empailler et il devient l’objet de sa vénération, seul objet apportant à son existence réconfort et poésie.

Un "soupir dans un monde sans cœur".

Le perroquet de l’hôtel «Amatcho», à Bayonne, ne s’appelait pas « Loulou », mais Charlotte !

C’était un ara rouge et vert et il nichait dans le coin de la salle à manger, à gauche en entrant.

J’aimais cet oiseau et j’aimais l’«Amatcho », au 27 Avenue du Maréchal Soult.

Ma première rencontre avec Charlotte remonte au mois de juillet de l’année 1974 quand par un beau dimanche sur les bords de l’Adour, Lucien Orlewski vint dans la ville du chocolat, de Lapébie et de Didier Deschamps pour y tuer deux pencus de La Guadamilla en l’agréable compagnie de Sebastián Cortés et de Pedro Somolinos.

Il m’appartient de préciser que ce ne fut ni la faute de Charlotte, ni celle d’Henri Grenet, le chirurgien- maire  de cette belle sous-préfecture des Pyrénées Atlantiques, si le second adversaire du « Chino » sortit borgne, ce qui empêcha le résident de la rue Dorée de triompher après qu’il eût coupé le pavillon auriculaire de son premier, alors que les deux autres avaient coupé oualou et fait chuffa...

Le soir, à l’occasion du repas que nous prenions dans la salle à manger où trônait l’oiseau, je me permis de préciser à Sebastián Cortés que Charlotte, outre le fait d’avoir comme tous les perroquets un seul ovaire, n’avait elle non plus pas d’oreilles à exhiber.

Je ne suis pas certain que le gitano d’Albacete ait goûté la saillie et je ne suis pas certain que la Félicité du Gustave l’eût beaucoup appréciée.

Par contre, mon intervention avait enchanté Julio Molina qui croyait bien évidemment que les papagayos étaient constitués à l’identique des êtres humains et qui dériva très vite sur les possibilités offertes si le mono-ovaire pouvait s’appliquer aux gachis.

Inutile de vous dire que Flaubert était loin…

L’oiseau habitait à l’«Amatcho » depuis son ouverture en 1958.

C’était la patronne, la señora Antoinette Blanchard, qui en avait eu l’idée et soixante-deux ans plus tard, je ne peux que me réjouir de ce choix d’autant plus que sachant que ces créatures ont un cycle cardiaque de 115/135 et une espérance de vie de quatre-vingts printemps, on peut estimer que Charlotte verra bien évidemment l’alternative du »Rafi », celle de «Solalito», mais également celle des niños toreros du CFT.

Car Charlotte ne pouvait être qu’aficionada.

En effet, quand j’imaginais le nombre de matadores de toros, de novilleros, de banderilleros, de picadores, de mozos d’espadas, d’apoderados, d’empresas et de journalistes de tout crin et de tout poil qui avaient déjeuné ou dîné dans la salle à manger où elle vit depuis 1958, et si on met bout à bout tout ce qu’elle a pu entendre, elle pourrait aujourd’hui aisément concurrencer Del Moral pour la reseña, Wolff pour les pensées altières, Pilès pour les chistes et tous pour les putadas !

C’est donc dans cet univers de toros que je rencontrai  Charlotte  et que Charlotte grandit.

Le  temps passe…

Et Charlotte est toujours là.

Un matin de juin 1975, je prenais mon petit déjeuner à l’«Amatcho ».

En face de moi, Paco Bautista,  que je ne connaissais pas.

Dans ce langage de plage dont on ne se rappelle jamais, je lui parlai de tout et de rien.

Charla d’aficionado ….

Charlotte me regardait d’un drôle d’air et  Bautista ne m’écoutait pas, comme si son esprit était ailleurs.

En me quittant, il s’excusa de son manque d’intérêt à ce que je lui racontai en me disant qu’exactement deux ans avant, le 3 juin 2013, il était à Barcelone quand «Curioso», un toro d’Atanasio, avait tué Joaquín Camino.

J’eus honte de l’insignifiance de mes propos ; je crois que Charlotte avait senti la chose et qu’elle avait essayé de me prévenir.

En plus, elle était  brave, Charlotte.

Un peu normal puisque « Amatcho », en basque, ça veut dire mamie, ou un truc qui connote l’affection, la gentillesse.

J’aimais Charlotte et j’aimais l’« Amatcho ».

Aujourd’hui, l’endroit est tenu par le petit-fils de la  señora Blanchard et je ne sais rien de Charlotte.

Il s’appelle Monsieur Correas, le patron.

C’est le fils de Manuel Amador Correas, matador de toros, un  señor de quatre-vingt-deux ans qui vit aujourd’hui à Albacete, le pays de Sebastián Cortés, celui des novillos de la Guadamilla en 1974, celui du début de cette histoire.

Et la Ste Charlotte échoit le 17 juillet, presque pendant les fêtes de Bayonne....

C’est drôle les toros, non ?   « Un soupir dans un monde sans cœur » écrivait Flaubert.

Patrice Quiot