Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Vendredi, 11 Décembre 2020

cb10ph

« Le Cheval Blanc »...

 L’enseigne avait cinq siècles et l’hôtel presque autant.

C’était le «Cheval Blanc», 1 place des arènes, Nîmes.  

Sobriété de la grande et belle façade blanche, lisse des trois larges marches en marbre de l’entrée, rectitude du balcon en fer qui courait le long du premier étage des trois niveaux de chambres, intimité de la terrasse donnant sur le parvis des arènes, porte  d’entrée en verre et poignées en laiton doré.

Elégance fitzgeraldienne pour des Gatsby en pattes d’eph.  

Devant, un léger vent soulevait les feuilles des micocouliers et faisait tourbillonner les spores de gratte-cul.

Au-delà, invisible dans une rumeur vaporeuse et coquine, la ville.  

Du tout me revient en mémoire une impression d’extravagant paradoxe.

La gravité architecturale du lieu comme un sermon au Musée du Désert assortie d’une apesanteur méridionale comme un poème  de Paul-Jean Toulet ou une saillie de Raimu.

Plafonds hauts, lustres à pampilles et maïsse graulenque.

Un décalage comme un kikiriki de  plaisir.  

Un pique-nique dans la garrigue avec Chateaubriand, un Herbert Von Karajan dirigeant avec le stylo bille de Rudy Nazy, l’arrêt d’une pendule comtoise sur une bugade d’aïoli.

Un endroit avec  un envers.  

Parangon de ce que devait être un hôtel taurin, le «Cheval Blanc» avait pour moi un caractère sacré et s’inscrivait dans la légende.

Autant que le «Colón» à Séville, le «Wellington» ou le «Victoria» à Madrid,  le «Yoldi» à Pampelune  ou  l’Ercilla» à Bilbao.  

Y aller faisait partie de mes triomphes d’adolescents.  

Cinquante cinq ans après, j’y repense encore.

Et, bien sûr, me viennent des images.  

La famille Layalle l’a tenu de 1940 à 1994.

Yves et Alain.

Leur père au visage rond et gentil et leur grand-mère au visage sévère d’une doña Angustías nimeña.

Léonce Loré y travaillait en veste blanche ; sa mèche grise, sa douceur, sa discrétion et son élégance m’ont peut-être aidé à  mieux comprendre le toreo de son  fils.

Les serveuses étaient obéissantes, le veilleur de nuit sans âge et Miguel Muñoz me doit toujours trois mille balles sans importance.

Tous restent dans ma mémoire.  

Souvenirs chatoyants d’un habit de lumières que je n’ai jamais porté.

Souvenirs éparpillés au Mistral des Guardiola : 

Picasso et la clique qui vint dans sa chambre lui donner une aubade ; Picasso et ses yeux ;

Les moustaches calamistrées de Dario Moreno, son costume en satin blanc, sa Cadillac rose, le chapeau de Gaston Lessut, celui de Pierre Pouly et la pipe d’Emile Jourdan ; 

Un soir d’un hiver où après avoir trop bu pour échapper à une déception sentimentale et ne voulant pas faire de la peine à mes parents en rentrant ivre, j’y avais dormi  dans une chambre tapissée de fleurs ;

Yves qui me rappelait  «L’Assomption» de notre enfance et Alain nos coups de gueule à Mont de Marsan ;

Le bar à gauche de l’entrée et un drink partagé avec François Caro qui m’expliquait ce qu’étaient l’amanecer et l’anochecer ;

Les repas des «Amis de Toros» et Jacques Thome pour une conférence de Claude Popelin et une autre  de Jean-Pierre Darracq  «El Tío Pepe» qui pleura en évoquant la mort de José Falcón ;

Le vieil Álvaro Domecq Díez sortant des toilettes en ayant presque honte de savoir que je l’avais vu ainsi, l’empéguade magnifique d’Alfonso Navalón nous prenant à témoin de la pertinence de ses remontées acides envers Paquirri, Manzanares et Dámaso ;                                                                                            

Le « run-run » du salon, le cliquetis des verres, la fumée des cigarettes et le parfum des filles en beauté ;  

La bodega dans le garage et Miguel Marquez qui me racontait l’Osborne auquel, tout en face, il avait coupé la queue ;  

Les ayudas qui nettoyaient capes et muletas à droite de la terrasse ;  

Et aussi, Olufela Olusegun Oludo «Fela», le magnifique Nigérian qui demanda à la grand-mère où il pouvait acheter un poulet afin de l’égorger dans sa chambre avant son concert ;

Et moi qui traduisais…  

Et aussi le soleil à son zénith qui m’éblouissait quand j’en sortais un midi de féria  de Pentecôte.  

Et aussi la pluie quand, quelques jours après la mort de notre mère, mon frère et moi y déjeunâmes une dernière fois avec Maitre Billy pour organiser avec lui la dispersion des quelques  belles antiquités qu’elle nous avait laissées.  

Seuls.  

Voilà.  

A Edimbourg, The Royal Mile, 266 Canongate, EH8 8AA, je fus dans un lieu qui s’appelle le «White Horse» et où Lord Mountbatten avait ses habitudes.  

Mais c’était autre chose.  

Alors s’il convient de considérer mes souvenirs nostalgiques avec la dérision que la modernité impose, la vérité impose également de dire que le «White Horse» d’Edimbourg était différent du «Cheval Blanc», 1 place des arènes, Nîmes.

Très différent.

Vraiment.  

En moins bien.

Y yo no miento.

Patrice Quiot