Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE

vh28ph

Pepita... Pour toutes les Josefa, Pepa, Pepita, Pepi et aussi pour toutes les gachis del mundo de los toros…

 Comme elle avait la résille,

D'abord la rime hésita.

Ce devait être Inésille...

Mais non, c'était Pepita.

 

Seize ans. Belle et grande fille... -

(Ici la rime insista :

Rimeur, c'était Inésille.

Rime, c'était Pepita.)

 

Pepita... - Je me rappelle !

Oh ! Le doux passé vainqueur,

Tout le passé, pêle-mêle

Revient à flots dans mon cœur ;

 

Mer, ton flux roule et rapporte

Les varechs et les galets.

Mon père avait une escorte ;

Nous habitions un palais.

 

Dans cette Espagne que j'aime,

Au point du jour, au printemps,

Quand je n'existais pas même,

Pepita - j'avais huit ans

 

Me disait : - Fils, je me nomme

Pepa ; mon père est marquis. -

Moi, je me croyais un homme,

Etant en pays conquis.

 

Dans sa résille de soie

Pepa mettait des doublons ;

De la flamme et de la joie

Sortaient de ses cheveux blonds.

 

Tout cela, jupe de moire,

Veste de toréador,

Velours bleu, dentelle noire,

Dansait dans un rayon d'or.

 

Et c'était presque une femme

Que Pepita mes amours.

L'indolente avait mon âme

Sous son coude de velours.

 

Je palpitais dans sa chambre

Comme un nid près du faucon,

Elle avait un collier d'ambre,

Un rosier sur son balcon.

 

Tous les jours un vieux qui pleure

Venait demander un sou ;

Un dragon à la même heure

Arrivait je ne sais d'où.

 

Il piaffait sous la croisée,

Tandis que le vieux râlait

De sa vieille voix brisée :

La charité, s'il vous plaît !

 

Et la belle au collier jaune,

Se penchant sur son rosier,

Faisait au pauvre l'aumône

Pour la faire à l'officier.

 

L'un plus fier, l'autre moins sombre,

Ils partaient, le vieux hagard

Emportant un sou dans l'ombre,

Et le dragon un regard.

 

J'étais près de la fenêtre,

Tremblant, trop petit pour voir,

Amoureux sans m'y connaître,

Et bête sans le savoir.

 

Elle disait avec charme :

Marions-nous ! Choisissant

Pour amoureux le gendarme

Et pour mari l'innocent.

 

Je disais quelque sottise ;

Pepa répondait : Plus bas !

M'éteignant comme on attise ;

Et, pendant ces doux ébats,

 

Les soldats buvaient des pintes

Et jouaient au domino

Dans les grandes chambres peintes

Du palais Masserano.

Victor Hugo (1802-1885) «L’art d’être grand-père» (1877)

Patrice Quiot