Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Samedi, 21 Novembre 2020

sev22ph

Séville 1984 : 3 toros 3...

Ces trois-là, je m’en souviendrai toute ma vie.

Le premier toro était un toro du Viti ; il sortit en quatrième, le  2 mai.

Miercoles de farolillos, septième corrida de l’abono ferial.

Corrida de Santiago Martín qui se présentait de ganadero à Séville.

Presentación y despedida.

A l’affiche : Curro Romero, Curro Vásquez et José Mari Manzanares.

La corrida vint laide, mansa, sans classe.

Y, además, infumable.

Ici même, six ans avant, le 21 avril 1978, jour de la  belle présentation de Christian de matador de toros à Séville, mon frère, le «Rubio» et moi avions vu un «El Viti » en blanc somptueusement sobre devant un lot d’Osborne dont le quatrième avait infligé une cornada de caballo à un Paquirri en bleu lors de sa troisième paire de banderilles posée au quiebro au centre de la Maestranza.

Ce mercredi 4 mai 1984, le  quatrième pensionnaire de Santiago Martín était dévolu à Curro.

Pour boiterie, le palco en ordonna le changement.   Le toro était au centre.

Par trois fois et en vain, les bœufs castrés ne purent l’en faire sortir.

C’est alors qu’Antonio Gómez « Manolín », le cabestrero de la plaza, intervint.

Il s’avança une première fois.

A la première raie.

Le toro ne bougeait pas.

Il s’avança une seconde fois jusqu’à la deuxième, le toro avança un peu, le regarda et s’arrêta.

Alors, emporté par une sorte de vergüenza arriérée et les encouragements d’un public partagé entre la peur et l’admiration, «Manolín » s’avança.

Pour aller au-delà.

Assis à côté de moi, François Caro bafouilla en tremblant : «N’y va pas».

«Manolín» n’écouta pas François et y alla.

C’est exactement ce qu’attendait le toro qui avait compris que le cabestrero avait dépassé  la frontière.

D’un coup, il s’élança, rejoint «Manolín» à un mètre du burladero à droite du toril et le mit minable.

Curro ne vint pas au quite et Manzanares pas vraiment.

Bronca épaisse à Romero et cornada gravissime à Antonio Gómez.   Lorsque les monosabios qui emmenaient un «Manolín» presque agonisant à l’infirmerie passèrent devant nous, Manolo Ortiz me dit: « Quiot, pega la foto ».  

Sans la moindre hésitation.

sev22h

Le second toro était un toro de «El Torero» ; il sortit en cinquième  le 4 mai.

Viernes de farolillos, neuvième corrida de l’abono ferial.

Corrida de Salvador Domecq y Díez. Finca : «Las Salinas de Hortales» /El Bosque (Cádiz).

A l’affiche : Antoñete, Paquirri et Emilio Muñoz.

En mantille, dans la loge royale, la duchesse d’Albe.

Il ne se passa absolument rien.

Nada de nada.

Si ce n’est que ce fut le trente-cinquième paseo de «Paquirri».

Et le dernier toro qu’il tua à la Maestranza.

Francisco Rivera Pérez avait 38 ans et Pozoblanco est toujours à 213 km de Séville.

Le troisième toro était un toro de Palomo Linares ; il sortit en cinquième  le 6 mai.

Domingo de farolillos (vespertinas), douzième corrida de l’abono ferial.

Corrida de Miura. Finca : «Zahariche»/La Campana (Séville).

A l’affiche : Francisco Ruiz Miguel, José Mari Manzanares et José Antonio Campuzano.   Lleno hasta la bandera.

Le  cinquième Miura ayant été refusé par le palco, sortit le sobrero de Palomo. Finca : «El Palomar» /Aranjuez (Madrid).

D’un noir entrepelado sale, d’un trapío indigne, vulgaire d’allure, le toro avait le cul souillé de sa merde.

Une horreur.

Pour Manzanares.

31 ans et 13 années d’alternative

Manso perdido, le bison sauta deux fois au callejón et blessa Ramón Vila.

Banderillé de noir par Corbelle, il se tanqua aux planches du 10.

Toute la lidia fut contenue dans un espace qui n’excédait pas cinq mètres carrés.

Sous nos yeux.

Injectés de sang, ceux du toro regardaient alternativement José Mari, matador de toros por la gracia de Dios et la Penny  terrorisée.

Vestido de tabaco y oro, Manzanares souffrit.

Visage congestionné, veines du front et artères du cou saillantes, bouche crispée, il fut formidablement humain.

Héroïque de cojones, splendide d’intelligence et exemplaire dans la lidia du criminel qui aurait mérité d’être pendu aux colonnes de la Alameda, il fut magnifiquement torero.

En onze machetazos comme des coups de serpe et en une demi-estocade dans un cri, Manzanares se défit du monstre.

Une libération.

La gente debout.

José María Dols Abellán salua.

Humblement.

Il avait simplement fait ce qui était son métier.

Tueur de toros.

Patrice Quiot