Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Jeudi, 19 Novembre 2020

pq18ph

Esthétisme d’une tauromachie de l’expertise, de l’audit et du sondage...

Quand l’expert, l’audit ou le sondeur deviennent des références, la mathématique de leur communication se substitue à celle de la vie, fait prendre des effets pour des causes et annonce un automne et une morosité pourtant déjà bien là.

C’est cependant sous l’angle de cette esthétique d’exposition de l’évènement qu’il convient d’imaginer la médiatisation future  d’une tauromachie provisoirement agonisante.

Ainsi, en raison de l’ordre du spectaculaire, un audit belge fera bientôt apparaître que les esportones de Manzanares et du Juli auraient révélé des muletas dont la taille du pico correspondrait au centimètre près à celles fabriquées à l’époque pour Dámaso par un sastre suisse qui n’était en fait qu’une boite aux lettres collectant des fonds secrets destinés au financement de la corrida d’Asprona.

De même, un collègue suédois du Belge s’appuyant sur les expérimentations de Claude Bernard relatives aux mécanismes d’action paralysante de la jonction neuromusculaire démontrera que les épées de Luna  sont forgées en Chine et systématiquement enduites de curare amazonien.

Dans cette logique de l’inepte, un procès retentissant sur la filiation du fils du Cordobés, les querelles d’experts auprès des tribunaux de l’Inquisition médiatique sur la réalité de la cécité de Padilla comparée à celle d’Homère et de celles de Lucio Sandín, de Luis de Pauloba ou du Niño de la Taurina au regard de la vision de Ray Charles et le procès de Ramón Valencia, Casas et Matilla enfermés dans une cage de verre pour les protéger des banderilles assassines des toreros rechazados, réjouiront le commun des écologistes en short et des dévots du gluten.

La mise en scène de l’assignation d’Enrique poursuivi par des avocats américains pour estimer la hauteur de la pension compensatoire de Paloma, la médiatisation de la responsabilité du docteur Luis Jiménez Guinea dans la mort de Manolete, ainsi que le recomptage fiscal au centiare près de la superficie de la finca «Fuente Ymbro» de Ricardo Gallardo, feront le bonheur des allergiques aux ondes magnétiques et des collectionneurs de timbres.

Ainsi, en raison de l’ordre scientifique et au bonheur des mesureurs de tout poil, un statisticien de Douai calibrera  l’exacte profondeur du derechazo de Morante, calculera la courbe d’efficacité d’une trinchera de Juan Ortega, précisera les quartiles, déciles et centiles à prendre en compte pour estimer la lenteur d’une véronique de Juan Leal, analysera la valeur résiduelle d’une naturelle de Talavante et déterminera leur impact sur une catégorie socioprofessionnelle d’aficionados, pondérée cependant de l’obligatoire variation des données saisonnières.

Toujours en raison de l’ordre moral et à la satisfaction des adorateurs de Louane, de Beaugrain-Dubourg et autres Jean-Pierre Foucault, un expert coréen publiera l’exégèse des œuvres de Claude Popelin à Jacques Durand en y relevant le nombre exact de fois où ces chroniqueurs auront reconnu avoir pris plus de plaisir à voir tuer un toro dans l’arène qu’à suivre l’ascension du compteur du Téléthon.

Cet esthétisme plat de la forme, cet écrêtement  des références, ce lissage programmé des aspérités engendreront un ordre taurin parfaitement normé, singulièrement neutre et tout à fait insupportable.  

La passion banalisée, toute dérive populaire, tout fracaso currista comme tout triomphe morantista seront interdits par des palcos proprets, méticuleux et informatisés qui ne tolèreront que des toros calibrés aux standards de Bruxelles, que des toreros allégés et des aficionados négatifs à l’éthylomètre ou au test PCR.

On apprendra aussi que les corps de Pepe «El Canalla» et du «Diamante Rubio» seront bientôt autopsiés comme le martien de Rosden pour y détecter des gênes inconnus, qu’Abelardo sera empaillé pour être exposé à la vindicte populaire de Constantina, que Paco Camino finira sa vie dans une maison de retraite pour vieux délinquants, que le gitan de Jerez grossira les rangs de l’Armée du Salut et que le «Viti » terminera la sienne comme créateur de lapins en peluche.

Quant à moi, j’aurai depuis longtemps rejoint le maquis rouge du groupe «Soleil»...

Patrice Quiot