Mardi 16 Avril 2024
Julien Lescarret
Dimanche, 05 Février 2012

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Dix ans déjà… Dix questions, dix photos…

Il l’a annoncé avant que sa temporada ne commence : ce sera sa dernière ! Rencontré cette semaine à Nîmes, Julien a bien voulu se prêter au jeu des questions,  dix exactement, comme ses années d’alternative…

- Julien, qu’est-ce qui t’a poussé à devenir torero ?
- Mes parents étaient aficionados, mon père faisait partie de clubs taurins, notamment celui de Patrick Varin, et il m’a fait très jeune partager sa passion. C’était parti ! A douze ans, j’ai toréé mes premières vaches, à une époque où j’étais plutôt touche à tout, je faisais beaucoup de sport, il y avait aussi les copains, mais les toros, ça devenait naturel, c’était pour moi un centre d’intérêt, un divertissement de plus, sans me prendre plus de temps que d’autres activités. Puis j’ai été très vite entouré, notamment par Patrick Varin. Je n’étais pas dans une école taurine, mais j’étais le seul élève de Patrick !!! La priorité pour moi, c’était le bac, mais j’arrivais facilement à tout concilier, les études, les copains, les toros…  Quelque part, j’ai eu la chance d’habiter dans le Sud-Ouest où j’étais le seul torero. Si j’avais été Espagnol, je crois que je n’aurais pas continué face à une telle concurrence, alors que là, j’ai pu faire mon chemin sans trop d’entraves dans ce domaine. Tout en sachant que je ne serais jamais un grand torero populaire et attractif, je me suis toujours préparé sérieusement, mais constamment dans l’optique du plaisir de toréer…

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- Retour vers tes débuts, qu’est-ce que tu retiendras de ces dix ans ?
- Le plus important, selon moi, c’est l’histoire que j’aurai vécue avec les hommes, ceux qui m’entourent, mais aussi les rencontres que j’ai pu faire, cette dimension humaine faite aussi de voyages, de déplacements, en France, en Espagne… En définitive, ce sont tous les moments que j’ai passés, dans la douleur comme dans la joie !

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- Si tu devais te définir en tant que torero, tu te décrirais comment ?
- Je pense avoir été très honnête, très généreux, et capable de m’adapter aux situations difficiles. Je n’arrive pas aux arènes avec des idées préconçues, mon plaisir est d’y aller en pouvant réagir à ce que va me proposer le toro, les autres toreros, le public. J’ai pris tous types de toros en ayant conscience qu’il y a toujours une part d’inconnue… J’ai eu toutes les opportunités, les soutiens, mais à l’inverse, on aime autant qu’on déteste… 

J’ai fait un choix de vie, de carrière, en étant généreux envers les autres, ouvert, pour démocratiser et démystifier un peu mon métier, ma passion, et partager ça avec les gens. J’y ai vraiment trouvé mon compte.

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- Tes meilleurs souvenirs… Et à l’inverse, les plus mauvais…
- Je ne vais pas ressortir de faits particuliers, c’est plutôt un ensemble de sensations avec tout ce que ça peut comporter de triomphes et d’échecs. Et toujours quelque chose qui tourne autour de l’humain… Je me réalise dans le contact, en enrichissant tout ça, car je ne pourrais pas vivre dans un monde fermé. Et la manière d’enrichir ma vie, ça a été de toréer.

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- Qu’est-ce qui t’a poussé à prendre la décision d’arrêter ?
Après ma dernière course de l’an dernier, la corrida concours d’Arles, j’ai pris quelques jours de vacances avec ma famille, ce qui m’a permis de faire le point. J’ai pensé que professionnellement, j’avais fait le tour, j’ai tourné en rond, je n’ai pas pu agrandir le cercle, je n’ai pas eu la possibilité de me renouveler face à d’autres publics, toréant quasiment dans les mêmes arènes de temporada en temporada. Naturellement, j’arrivais au bout d’un chemin professionnel. Je suis comblé par ce que j’ai déjà fait, j’ai eu le sentiment de ne plus pouvoir donner ce que j’aurais voulu, mais je partirai sans aucune amertume.

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- Comment vois-tu cette dernière temporada te concernant ?
- Je me suis demandé dans quelles arènes je voulais toréer  et où le public aurait plaisir à me voir. J’ai envie de me créer de beaux souvenirs et je dois dire que j’ai reçu un excellent accueil de la part des empresas partout où j’ai appelé. Si je n’ai pas contacté certaines arènes, c’est tout simplement parce que je pense n’avoir pas pu y triompher, il n’y a pas eu d’histoire forte et je crois que d’autres méritent davantage d’y être engagés. C’est donc dans celles où il s’est passé quelque chose que mon choix s’est porté, là où j’ai encore envie de raconter une histoire...
Il n’y aura pas de corrida spéciale pour mes adieux, mais évidemment, si j’aurais voulu faire la der à Bayonne, ce serait très bien de pouvoir terminer à Nîmes pour les Vendanges.

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- Partiras-tu avec des regrets ?
- Je n’ai pas de regrets dans le domaine de choses que j’aurais mal vécues. Ma carrière a été ce qu’elle a été, avec ses bons moments et d’autres plus délicats, mais si je devais tout de même exprimer un regret, c’est surtout de n’avoir pas pu toréer dans des arènes comme Séville et Mexico !

 

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Sinon, est-ce que je méritais plus ? Est-ce que je méritais moins ? Je ne sais pas trop. Certains toreros se fixent des objectifs précis, mais ce n’était pas mon cas. Et comme justement je ne me fixais pas d’objectifs particuliers, je pars très heureux de ce que j’ai pu faire dans ce milieu. Je pense que le plus important, ce n’est pas la concrétisation de ses rêves, mais plutôt le cheminement, les trajets, les rencontres, davantage que la finalité.

- En dix ans, le monde des toros a évolué et en ce moment, on sent que les choses bougent et risquent de bouger encore plus… Comment analyses-tu cette évolution ?
- Je pense que ce qui a le plus changé, c’est que pendant très longtemps, les empresas avaient le pouvoir, mais que progressivement, à force de travail, les toreros les plus en vue, les plus attractifs, les plus populaires, ont réussi à inverser la tendance, à imposer leurs idées, en quelque sorte à détenir le pouvoir. Le problème, c’est qu’on ne peut pas tout faire et actuellement, ils mélangent un peu tout. D’où des problèmes de communication, aggravés par le fait de se rapprocher pour le négoce de gens qui ne font pas partie du milieu taurin et qui veulent tout contrôler sans en avoir les compétences. Je comprends que chacun tienne à défendre ses intérêts, c’est normal, nous sommes des artistes, des créateurs, et il faut défendre ce concept là. Il y a des gens compétents pour ça et il ne faut pas tout mélanger. Actuellement, le G10, un groupe de toreros qui se sont adoubés eux-mêmes, se targue de parler au nom de tout le monde, mais je ne me reconnais pas dans leurs propos. Certes, il y a des choses à améliorer, et l’union fait la force, mais justement, il faut être plus collectif.

 
Cela étant, je n’aime pas trop le terme de figura. Nous sommes environ trois cents toreros en Europe, et en définitive, nous sommes tous des héros, des gladiateurs des temps modernes. Bien sûr, il y en a de plus talentueux que d’autres, mais quelque part, nous sommes tous figuras !

Le monde taurin va très mal. Partout où je vais, les avis sont très pessimistes. Je pense que les antis n’auront pas notre peau, mais par rapport à la société actuelle, je crois qu’on n’est pas capables de se moderniser et de s’adapter. Ce qui manque, c’est une campagne de séduction vers un nouveau public, parler des belles valeurs, faire vivre les arènes toute l’année autour du toro, apporter aux spectacles taurins un peu plus de diversité culturelle. Je crois en fait que la corrida ne se suffit plus à elle-même, et qu’avec le toreo moderne, les gens veulent consommer, voir ce qu’on leur promet sur la pub… D’ailleurs, quand ils demandent quelle corrida il faut aller voir, il faudrait répondre n’importe laquelle car la corrida, c’est l’inconnue, et non pas quelque chose de standardisé, comme c’est parfois en train de le devenir…

J’ai envie de donner au spectacle plus de diversité, en attachant autant d’importance au toro et au torero qu’aux autres arts majeurs qui accompagnent. Dans les mentalités, on a généralement tendance à penser que la corrida et le torero, c’est déjà suffisamment incroyable et que ça devrait se suffire, mais ce n’est pas vrai. Il faut donner un peu plus aux gens…

Je pense que tout ne vient pas des antis et que d’ailleurs, la plupart des gens qui ne vont pas – ou plus – aux corridas ne veulent pas plus du modèle de société prôné par les antis. C’est un contexte général. Le spectacle a évolué dans sa technique, dans ce qui se passe dans l’arène, mais n’a surtout pas évolué dans l’extra-taurin. Il y a plein de choses qui sont faites, décoration des arènes, peinture, musique, mais ça ne suffit pas. Et si c’était fait avec talent, d’autres éléments pourraient être introduits sans que ce soit du cirque, ou quelque chose de ringard. Il faudrait amener d’autres choses, complètement incroyables et décalées, par ce que je crois que ce spectacle l’est !

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- Après les toros, dans quel domaine vas-tu rebondir ?
- J’ai plein de projets, d’envies, de possibilités, j’aimerais accumuler des compétences, me former pour d’autres métiers, à d’’autre univers… Pour l’heure, je me concentre sur ma temporada et je n’ai pas vraiment décidé dans quel sens ça partira après. J’ai envie d’être ouvert à l’improbable ! Je n’ai vraiment encore rien défini, ça pourrait même être un métier convenu, avec des horaires fixes, ce n’est pas exclu. J’ai des compétences dans pas mal de domaines, mais ce n’est pas parce que je m’arrête que je vais me lancer en pensant que je suis capable de tout ! J’essaierai de passer par des gens compétents et me former. On m’a aussi proposé des choses en relation avec les toros, tout m’intéresse, mais il va falloir que je me concentre sur un ou deux projets…

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- Le futur proche, c’est aussi la sortie de ton livre, non ?
- Oui, je l’ai fait parce que souvent, les toreros veulent laisser quelque chose d’eux, quelque chose qui marque, j’aime bien écrire et j’avais envie de laisser une trace, de raconter mon histoire, mes dix ans de matador… Je dois dire que très jeune, j’aimais déjà écrire, et que plus tard, je l’ai fait pour des commandes d’articles, de nouvelles, de ressentis… Ce n’est pas une nécessité, un besoin, je ne vis pas accroché à ça, alors que pour moi la musique est un besoin, j’ai beaucoup de mal à vivre sans, mais pour revenir à l’écriture, même si je peux m’en passer, j’aime bien le faire…

 

Ce livre, je l’ai fait pour les Editions « Au Diable Vauvert », en leur proposant un objet un peu décalé, puisque c’est un peu leur ligne de conduite… J’ai fouillé dans ma mémoire pour retrouver des souvenirs remontant jusqu’à mes débuts, des situations, des choses intimes, pour faire quelque chose d’un peu différent. Et comme je ne me suis pas senti capable de le faire tout seul, j’ai fait des rencontres avec des artistes différents qui ont contribué à l’élaboration de cet ouvrage. J’ai donc choisi de raconter mon histoire en y mêlant les différentes rencontres artistiques que j’ai pu faire, qui sont soit des personnes qui ont eu une influence sur ma passion, soit des gens que j’admire particulièrement et que je côtoie encore maintenant et qui ont eu de l’importance. J’avais l’idée de diversifier, de donner cette richesse-là à mon livre, pour que même sans être fans de Julien Lescarret, les lecteurs s’y retrouvent et puissent apprécier ce travail.

Bizarrement, quand je suis en costume de lumières, j’aime bien me laisser aller vers l’inconnue et proposer des choses sur l’instant, mais avec le livre, j’ai établi un projet précis qui j’espère trouvera un écho favorable, pas seulement chez les taurins, mais aussi chez les néophytes que j’ai essayé d’éclairer sur l’art de vivre de la tauromachie…

 

Le titre ? En fait, j’en avais plusieurs en tête, mais aucun qui ne me convenait totalement. C’est finalement mon éditrice qui me l’a proposé et comme j’ai trouvé qu’il collait parfaitement à mon récit, je l’ai adopté. Pour moi, la tauromachie est belle dans la capacité qu’on a à prendre des risques pour soi-même et j’ai voulu raconter ce qui se passait avec un homme capable de risquer sa vie  pour assouvir sa passion. Au risque de soi…

(NDLR : Sortie prévue du livre de Julien "Au risque de soi", éditions du Diable Vauvert, le 7 mai prochain).

Avec autant de charisme, d’intelligence, de sensibilité et de joie de vivre, je ne me fais pas trop de souci pour Julien. C’est sûr, il rebondira, dans une vie faite de rencontres, d’imprévu, de découvertes, de tout ce qui le nourrit, tout en ayant les pieds bien ancrés sur terre. Avec ou sans le toro. Mais dans l’immédiat, face aux responsabilités qui l’attendent dans cette ultime ligne droite, je lui souhaite sincèrement d’écrire encore quelques belles pages au cours de son ultime temporada…