Mercredi 01 Mai 2024
PATRICE
Jeudi, 18 Avril 2024
sev18cat
 
Théophile visite la cathédrale... 
 
« Les pagodes indoues les plus effrénées et les plus monstrueusement prodigieuses n’approchent pas de la cathédrale de Séville. C’est une montagne creuse, une vallée renversée ; Notre-Dame de Paris se promènerait la tête haute dans la nef du milieu, qui est d’une élévation épouvantable ; des piliers gros comme des tours, et qui paraissent frêles à faire frémir, s’élancent du sol ou retombent des voûtes comme les stalactites d’une grotte de géants. Les quatre nefs latérales, quoique moins hautes, pourraient abriter des églises avec leur clocher. Le retablo, ou maître-autel, avec ses escaliers, ses superpositions d’architectures, ses files de statues entassées par étage, est à lui seul un édifice immense ; il monte presque jusqu’à la voûte. Le cierge pascal, grand comme un mât de vaisseau, pèse deux mille cinquante livres. Le chandelier de bronze qui le supporte est une espèce de colonne de la place Vendôme ; il est copié sur le chandelier du temple de Jérusalem, ainsi qu’on le voit figurer sur les bas-reliefs de l’arc de Titus ; tout est dans cette proportion grandiose. Il se brûle par an, dans la cathédrale, vingt mille livres de cire et autant d’huile ; le vin qui sert à la consommation du saint sacrifice s’élève à la quantité effrayante de dix-huit mille sept cent cinquante litres. Il est vrai que l’on dit chaque jour cinq cents messes aux quatre-vingts autels ! Le catafalque qui sert pendant la semaine sainte, et qu’on appelle le monument, a près de cent pieds de haut. Les orgues, d’une proportion gigantesque, ont l’air des colonnes basaltiques de la caverne de Fingal, et pourtant les ouragans et les tonnerres qui s’échappent de leurs tuyaux, gros comme des canons de siège, semblent des murmures mélodieux, des gazouillements d’oiseaux et de séraphins sous ces ogives colossales. On compte quatre-vingt-trois fenêtres à vitraux de couleur peints d’après des cartons de Michel-Ange, de Raphaël, de Durer, de Pérégrino, de Tibaldi et de Lucas Cambiaso ; les plus anciens et les plus beaux ont été exécutés par Arnold de Flandre, célèbre peintre verrier. Les derniers, qui datent de 1819, montrent combien l’art a dégénéré depuis ce glorieux seizième siècle, époque climatérique du monde, où la plante-homme a porté ses plus belles fleurs et ses fruits les plus savoureux. Le chœur, de style gothique, est enjolivé de tourelles, de flèches, de niches découpées à jour, de figurines, de feuillages, immense et minutieux travail qui confond l’imagination et ne peut plus se comprendre de nos jours. L’on reste vraiment atterré en présence de pareilles œuvres, et l’on se demande avec inquiétude si la vitalité se retire chaque siècle du monde vieillissant. Ce prodige de talent, de patience et de génie, porte du moins le nom de son auteur, et l’admiration trouve sur qui se fixer. Sur l’un des panneaux du côté de l’Évangile est tracée cette inscription : Este coro fizo Nufro Sanchez entallador que Dios haya año de 1475 ; « Nufro Sanchez, sculpteur, que Dieu ait en sa garde, fit ce chœur en 1475 ».
 
Essayer de décrire l’une après l’autre les richesses de la cathédrale serait une insigne folie : il faudrait une année tout entière pour la visiter à fond, et l’on n’aurait pas encore tout vu ; des volumes ne suffiraient pas à en faire seulement le catalogue. Les sculptures en pierre, en bois, en argent, de Juan de Arfé, de Joan Millan, de Montañes, de Roldan ; les peintures de Murillo, de Zurbarán, de Pierre Campana, de Roëlas, de don Luiz de Villegas, des Herrera vieux et jeune, de Juan Valdés, de Goya, encombrent les chapelles, les sacristies, les salles capitulaires. L’on est écrasé de magnificences, rebuté et saoûl de chefs-d’œuvre, on ne sait plus où donner de la tête ; le désir et l’impossibilité de tout voir vous causent des espèces de vertiges fébriles ; l’on ne veut rien oublier, et l’on sent à chaque minute un nom qui vous échappe, un linéament qui se trouble dans votre cerveau, un tableau qui en remplace un autre. L’on fait à sa mémoire des appels désespérés, on recommande à ses yeux de ne pas perdre un regard ; le moindre repos, les heures des repas et du sommeil, vous semblent des vols que vous vous faites, car l’impérieuse nécessité vous entraîne ; et bientôt, il va falloir partir, le feu flambe déjà sous la chaudière du bateau à vapeur, l’eau siffle et bout, les cheminées dégorgent leur blanche fumée ; demain, vous quitterez toutes ces merveilles, pour ne plus les revoir sans doute ! »
 
Datos 
 
La Cathédrale de Santa Maria du Siège de Séville (Catedral de Santa María de la Sede de Sevilla) est la cathédrale gothique avec la plus grande superficie au monde. Avec l’ Alcazar et les Archives des Indes, elle fut déclarée Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco en 1987, et en 2010, Bien de Valeur Universelle Exceptionnel.
 
Selon la tradition, sa construction débuta en 1402, bien qu’aucun document n’atteste le début des travaux avant 1433. Elle est construite à l’emplacement de l’ancienne mosquée Aljama de Séville, après sa démolition.
 
En 2008, la chercheuse Begoña Alonso Ruiz de l’Université de Cantabría découvrit le plus ancien plan connu de la Cathédrale de Séville, dans le monastère de Bidaurreta de Oñate (Pays Basque). Il date de 1490, et a apporté d’importantes informations sur la construction de l’édifice.
 
L’un des premiers maîtres d’œuvre est un français de Normandie, Charles Galter (Maese Carlin) qui avait déjà travaillé sur plusieurs cathédrales gothiques d’Europe, dont celle de Barcelone. Il serait venu en Espagne fuyant la Guerre de Cent Ans.
 
Le 10 octobre 1506, on posa la dernière pierre sur la partie la plus haute de la coupole, signifiant ainsi symboliquement la fin de la construction. Cependant, on continua a travailler sur la Cathédrale de manière ininterrompue au fil des siècles, s’agissant de la décoration intérieure, autant que pour ajouter de nouvelles dépendances ou pour consolider ou restaurer des parties abimées par le temps, ou lors de circonstances extraordinaires comme ce fut le cas lors du tremblement de terre de Lisbonne en 1755.
 
Ces différents travaux firent intervenir les architectes Deigo de Riaño, Asensio de Maeda, Martín de Gainza ou encore Hernan Ruiz qui édifia le dernier corps de la Giralda. La Cathédrale et ses dépendances furent achevées en 1593.
 
On trouve dans la Cathédrale les corps de Christophe Colomb et du roi Fernando III de Castille (1199-1252), canonisé en 1671par le pape Clément X.
 
Les derniers travaux d’importance furent réalisés en 2008. Ils consistèrent au remplacement de 576 pierres de taille qui formaient l’un des grands piliers de la Cathédrale, par des blocs aux mêmes caractéristiques mais plus résistants. Ce travail difficile fut rendu possible par les nouvelles technologies qui démontrèrent que l’édifice souffrait quotidiennement une oscillation de 2 cm due à la dilatation de ses matériaux.
 
A suivre...
 
Théophile Gautier (1811/1872). Voyage en Espagne(1859)
 
Patrice Quiot