Dimanche 28 Avril 2024
PATRICE
Jeudi, 22 Février 2024
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«El Cerbatana», le fils de Bachué(2)…
 
Rappelons-nous l’histoire de Bachué :
 
Un jour, une femme svelte et belle sortit du lac Iguaque accompagnée d'un petit enfant. Elle s'appelait Bachué ; elle s'assit sur la rive du lac et attendit que l'enfant grandisse. Lorsqu'il eut atteint un âge suffisant, elle se maria avec lui et ils eurent de nombreux fils, les Muiscas. Bachué leur apprit à chasser, cultiver, respecter les lois et adorer les dieux. Bachué fut si bienveillante que les Muiscas se réfèrent à elle sous le nom de Furachoque (“bonne femme” en langue muisca). Lorsqu'ils furent vieux, Bachué et son époux décidèrent de retourner à Iguaque et se transformèrent en serpents qui disparurent dans les eaux du lac.
 
Sauf que ce dimanche 22 septembre 1991 à 21h22, le fils de Bachué était à la réception de «L’Atria» et ne comprenait pas trop ce que lui disait la fille en tailleur et étiquette sur la poitrine. Je lui fis le quite et nous parlâmes. Il resta excessivement discret sur son identité et sur ce qu’il faisait là.
 
Je suppose qu’il avait dÜ venir dans les bagages de César, dans ceux d’un trafiquant d’émeraudes ou dans la soute d’un avion d’Avianca transportant une cargaison de café…
 
Le fils de Bachué n’avait pas de métier, était délicieusement illettré et excessivement gentil. Il était né il ne se rappelait pas trop quand dans un village amazonien et avait passé sa jeunesse à cueillir des feuilles, des insectes et à chasser.
 
J’appris ainsi qu’il s’était spécialisé dans la traque du singe hurleur qu’il tuait avec des flèches empoisonnées au curare et soufflées dans une sarbacane qui, d’après ce que me disait le fils de Bachué, mesurait la moitié de la longueur du bar.
 
Pour ce faire, il se postait et attendait des heures avant de souffler dans l’engin. Et quand le singe hurleur tombait raide mort, il le chargeait sur ses épaules et rentrait au pueblo où le soir il le faisait rôtir enveloppé de feuilles d’un arbre dont je ne me rappelle plus le nom, mais dont je suis certain que ce n’était pas le micocoulier.
 
C’était ses faenas à lui. Les singes hurleurs étaient ses toros, la sarbacane ses trastos, les flèches au curare ses épées de Luna et le rôti dans les feuilles ses triomphes.
 
A sa façon, il était torero.
 
Si j’avais été César, trafiquant d’émeraudes ou grossiste international en café, je suis persuadé que, moi aussi, je l’aurais pris avec moi.
 
Je ne sais rien d’autre de lui. Il est peut-être devenu guerillero à moustache ou gouverneur de province en tenue verte et lunettes noires, il est peut être mort ou il s’est peut être transformé en serpent.
 
Mais, dans ma mémoire, il restera «Sarbacane», «El Cerbatana», le fis de Bachué…
 
Patrice Quiot