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PATRICE
Samedi, 16 Décembre 2023
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Le torero et la suicidée… (1)
 
« Elle était belle, sans hyperbole », écrivit le rédacteur du journal El Imparcial le 4 décembre 1909.
 
Il entendait ainsi “hacer a un lado el noticierismo”, ce canon journalistique naissant associé aux journaux modernes, pour raconter comment une jeune fille, la compréhension brouillée par la honte et l’horreur, avait décidé de se suicider, provoquant le scandale à un Mexico qui se préparait aux festivités de fin d'année.
 
Mais même si « la nota » était le suicide de la jeune fille, il ne faisait pas la une du journal populaire. Il fallait une “cabeza”, un titre attrayant, un de ceux qui ferait vendre à de très nombreux exemplaires. Aussi, à côté de l’article principal consacré aux frictions entre les gouvernements du Nicaragua et des États-Unis, de celui dévolu à la construction imminente d'un hippodrome à Mexico et de celui évoquant la recherche des restes d'Hernán Cortés dans le temple adjacent à l'ancien hôpital de Jesús, figurait celui faisant état du cas de cette malheureuse jeune femme.
 
Le papier était intitulé : "Rodolfo Gaona a été arrêté hier soir à 19 heures."; « Suicide d'une belle jeune femme » en étant le sous-titre.
 
Le lendemain, la direction d'El Imparcial imaginant que le visage de la jeune María Luisa Nocker – que certaines publications orthographiaient Noecker – serait sans aucun doute ce qui attirerait les lecteurs, le journal put obtenir d'un photographe de la rue Revillagigedo, ce qui peut être considéré comme la dernière image de la jeune femme : Visage rond, regard doux, « peinado ampuloso. Toda una señorita, de buena familia, del México que gobernaba don Porfirio ».
 
María Luisa Nocker vivait dans la rue Nuevo México et était une jeune fille qui, comme beaucoup d’autres, était amoureuse du très populaire Rodolfo Gaona. 
 
Bien sûr, elle avait un petit ami, mais Gaona était autre chose :
 
C'était l’étoile de la fiesta brava « el matador popularísimo, que había saltado a la fama en 1907 y que, gracias a sus esfuerzos, y pese a su cuna humilde, era personaje famoso, admitido en algunas fiestas y eventos de la buena sociedad. »
 
Mais en 1909, les toreros avaient une très mauvaise réputation et aucun membre de l'élite porfirienne n'imaginait qu'un torero, même s'il s'agissait de Gaona, puisse se lier par le mariage à l'une des filles des familles élégantes du pays.
 
Ils faisaient partie du monde obscur, du monde souterrain du Mexique porfirien. C'étaient des personnages brillants, applaudis. Mais ils avaient la réputation d'être paresseux dans tout ce qui n'était pas l'arène et d’être accompagnés de « gente muy poco recomendable », des canailles, des joueurs et des prostituées. 
 
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Dans le roman «Santa» de Federico Gamboa, apparaissaient des toreros jaloux et violents qui résolvaient avec brutalité leurs problèmes sentimentaux.
 
Cependant, ignorant la morale du roman de Monsieur Gamboa, les adeptes du torero Gaona étaient des centaines, des milliers. 
 
Gaona avait été contratado pour faire la publicité d'une bière, photographié « con traje formal » et bouteille à la main ; une marque de cigarettes portait son nom ; sa photo se vendait sous forme de carte postale ; « y hasta le habían compuesto una marcha ». 
 
En 1908, des feuilles volantes avaient même consacré au matador ces vers délicieux :
 
« Pues señor, se necesita
 
Ser un idiota cabal
 
Para ignorar la famita
 
Del diestro ya universal. »
 
Rodolfo Gaona était si célèbre qu'il ne fallait pas s'étonner que de nombreuses jeunes filles comme María Luisa Nocker, tombent amoureuses de lui, désirent le rencontrer et rêvent que, si une telle chose se produisait, «el ídolo se prendaría de ellas, correspondiendo su amor ».
 
Aussi, lorsque le reporter d'El Imparcial réussit à pénétrer dans la chambre de « la pobre suicida, notó un detalle que no dejó de escribir en la nota que le encomendaron en ese diciembre de 1909 » :
 
Les murs de la chambre de Luisa Nocker étaient couverts de photographies de Rodolfo Gaona.
 
A suivre…
 
Patrice Quiot