Mercredi 08 Mai 2024
PATRICE
Mardi, 21 Novembre 2023
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La digestion des mythes, ou le toro comme plat par André Daguin, le mythique cuistot de « L’hôtel de France » à Auch...
 
"Rien ne paraît si beau aux Français que de voir le goût de leurs cuisiniers régner du septentrion au midi". 
 
Montesquieu (1689/1755).
 
«Lettres persanes» (1721).
 
« Que le toro bravo soit indigeste n’est vrai que pour les toreros à cause des cornes et des sabots : ils savent bien qu’une cornada ou un coup de pied sont difficiles à digérer.
 
Pour ce qui est de sa viande et malgré les dires des adversaires de la corrida, je la tiens pour plus légère que celle du bœuf qui a voyagé trois ou quatre jours, sans manger ni boire, avant d’être parqué pour l’abattage en série : plus légère, ô combien, que celle du cerf ou du chevreuil forcé à la course et dont les toxines ont eu tout le temps d’imprégner les tissus musculaires.
 
En effet, le taureau de combat termine sa vie dans l’arène en quinze ou vingt minutes : les dix dernières sont celles pendant lesquelles se produit une détérioration de la viande par les piques puis par l’épée, mais l’animal est tué avant d’être épuisé. Saignée immédiatement, sa carcasse est rapidement séparée en deux : l’arrière avec le dos intact d’un côté, l’avant de l’autre, avec les épaules et le morrillo très abîmés.
 
L’arrière est donc celui d’un animal adulte (chose rare de nos jours), vieux de quatre ou cinq herbes et non point d’une farine et demie, qui a couru, s’est nourri librement de ce qu’il a voulu, a été obligé de se déplacer beaucoup pour trouver nourriture et boisson sur de vastes pâturages non cultivés. Bref, cet animal est comme les herbes de Mességué : naturel.
 
Cela ne suffirait pas pour qu’il soit bon : je me souviens d’un singe boucané que j’ai essayé de manger au Gabon et qui, bien que des plus naturels, n’était pas mangeable.
 
Néanmoins, en réfléchissant un peu, on doit être frappé par l’analogie dans la vie et dans la mort de ces taureaux avec les anciens bœufs de labour qui étaient abattus, sans beaucoup de précautions et pas toujours très rapidement, à l’âge de cinq ou six ans : la viande des uns comme des autres est rouge-violet et dure dans les quelques jours qui suivent la mort. Il convient de savoir appliquer les recettes qu’il faut à cette chair de haut goût, goût de bœuf et non de gibier. Il n’y a pas de goût de gibier, il n’y a que le goût dévoyé du faisandage ou de l’alcool abusivement ajouté.
 
Il faut donc préparer tour à tour et suivant leur consistance : tout de suite le filet, plutôt poêlé que grillé puisque la viande de taureau est plus maigre que celle de bœuf ; dès le lendemain, on peut mettre à mariner une belle daube qui sera cuite avec une abondante garniture de légumes et un vin corsé, étant donné que cette viande demandera davantage de temps de cuisson.
 
Les jarrets peuvent faire un pot-au-feu de haut goût et qui pourra même se prendre en gelée pour les dîners de l’été (garniture de légumes frais et peut-être, en plus, estragon et groseilles).
 
Le globe de cuisse quant à lui devra attendre une dizaine de jours avant d’être tout simplement rôti (bardé) : le jus de ce rôti est d’un goût totalement oublié.
 
Le train de côtes enfin, sera longuement suspendu (de quinze à vingt jours) dans une chambre froide ventilée avant d’être utilisé poêlé côte par côte, ou rôti entier - pour le banquet annuel des toreros, peut-être - à condition d’ôter la tranche sèche qui, à chaque extrémité, a isolé la viande de l’air ambiant.
 
Et puis, allez-vous me dire, vous oubliez le principal : ce qui fait que le taureau est un taureau. Il n’est certes pas question de laisser cette affaire pendante, mais elle me fournit le prétexte de vous dire que le taureau est, en plus de toutes ses autres qualités, un animal fidèle : si vingt-cinq personnes peuvent se nourrir de ses côtes, une douzaine de ses jarrets, et une trentaine de sa daube, il réserve une seule portion la dégustation de ses honneurs : à table, le taureau est monogame ! »
 
André Daguin
 
Sources : ONCT.
 
Datos 
 
André Daguin (20 septembre 1935 / Auch. /3 décembre 2019 /Auch).
 
André Daguin fut le propriétaire de l'Hôtel de France (deux étoiles Michelin), à Auch, qu'il a hérité de ses parents, et dont il a assuré la direction jusqu'en 1997 avant de le céder à Roland Garreau.
 
André Daguin a connu le succès aux fourneaux, quarante ans durant. Héraut d’une cuisine régionale revisitée, il est l'«inventeur » et le promoteur du magret qu'il met à son menu dès 1959. Il conçoit également des plats audacieux comme un foie gras frais aux langoustines, ou une glace de haricots blancs.
 
Il est l'auteur ou le coauteur de plusieurs livres sur la cuisine, dont Le nouveau cuisiner gascon (Stock, 1981) et 1 canard 2 Daguin (Éditions Sud-Ouest, 2010) écrit avec son fils Arnaud.
 
Ancien joueur de rugby, il joue deuxième ligne au lycée d'Auch de Salinis.
 
Il fut chroniqueur dans les Grandes Gueules sur RMC.
 
André Daguin meurt le 3 décembre 2019 à son domicile à Auch (Gers) à l'âge de 84 ans, d'un cancer du pancréas.
 
Il est inhumé au cimetière communal.
 
« Lou Magret »: En 1959, le jeune chef qui allait marquer la gastronomie française n’a que 24 ans quand dans sa maison familiale, l’Hôtel de France, à Auch dans le Gers, il inscrit à la carte un plat dont le nom à l’époque pouvait paraître énigmatique : « Lou Magret ».
 
Il reprend là le nom que l’on donnait en Occitanie à cette pièce de viande jugée maigre. Donc « Lou Magret » était un filet du mulard gras servi saignant, et c’était une grande nouveauté. À cette époque, on pensait que ce morceau du canard gavé ne pouvait avoir d’autre destination que les confits.
 
Autrement dit, servir le filet de canard gavé saignant était inconcevable.
 
Mais pas pour André Daguin qui, de fait, a littéralement inventé le magret de canard. Sa création sortit rapidement de son restaurant et intéressa largement la nouvelle génération de cuisiniers qui l’inscrivirent à leur carte et en déclinèrent les recettes dans la décennie qui suivit : magret au poivre vert, magret grillé aux baies de cassis en sont quelques-uns des premiers exemples les plus renommés.
 
Patrice Quiot