Mercredi 08 Mai 2024
PATRICE
Jeudi, 02 Novembre 2023
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Tres recuerdos : L’un du début des années quatre-vingt, le second plus ancien et le troisième, beaucoup plus ancien…
 
Recuerdo 1
 
Je ne peux que m’en souvenir. C’était en 1984, le 25 septembre, le jour de mon anniversaire.
 
Le lieu : «L’Imperator» à l’apéro de 13 heures. Grand salon, superbe terrasse, somptueux jardin, serveurs en tenue blanche et nœud papillon avec serviette sur le bras droit, serveuses en jupe noire et chemisier blanc.
 
Des señoritos gominés en jeans et chemisette à 1500 balles, des bimbos aux grosses lèvres et gros nichons, des intellos bavards, quelques homos, des artistes de cinoche et of course, des socialistes barbus, une exposition de peinture taurine, le tout dans une odeur de savonnette et d’eau de toilette.
 
Champagne et petits fours. Fumée de cigare. Babil mondain.
 
Dans un coin du hall, face au vieil ascenseur à cage métallique, j’observai ce bruissement doux où rien ne trouble un ordre public bien établi.
 
Soudain, l’ascenseur ne descend plus à son rythme de poulies et contrepoids.
 
Immobiles devant moi, deux jambes de jeans blanc. Pas de martèlement intempestif, pas de sonnerie d’alarme. Rien.
 
Au bout de dix minutes, je m’approche et m’inquiète de savoir qui est dedans. Pas de réponse. J’informe le réceptionniste qui, après un très long moment, arrive à débloquer la cage.
 
Livide et sans rien dire, en sort le «Yiyo».
 
Comme un zombie.
 
L’après-midi, il toréait la corrida de Jandilla avec Ojeda y un tercero de cuyo nombre no me acuerdo.
 
Recuerdo 2
 
Nous sommes à la fin des seventies et Lucien avait torée à Valencia une novillada d’Osborne avec Luis Miguel Moro et Juan Ramos.
 
Le lendemain dans un bistrot, je rencontrai le «Diamante Rubio» 
 
Ecarlate comme la balise de bâbord du phare de l’Espiguette, roux comme une laitière de Jersey et ventre d’un distillateur du pays cauchois, il était ; seule la casquette blanche donnait au personnage une touche méditerranéenne de retraité en vadrouille sur la Croisette.
 
A Tournai, il aurait été saxophoniste, à Munich, gargotier, aux îles Trinidad et Tobago, marchand d’esclaves.
 
Dans toute la péninsule, il était simplement « Le Diamante », claqueur appointé de toreros. Son fonctionnement professionnel est d’une simplicité biblique : on lui donnait des sous et il applaudissait.
 
Incantatoire, foisonnant, redondant, lyrique, pleurnichard, le « Diamante » commentait, interpellait, s’indignait, prenait sa vraie mesure. Lançant l’opprobre et l’anathème comme les papes vendaient des indulgences, les yeux fulminants à travers ses lunettes sans verres, sa badine de bambou fouettant l’air, il illuminait l’arène de sa faconde. Anticipant la critique, il l’annihilait, la réduisait en cendres pour ensuite valider de l’approbation populaire la faena de son mentor.
 
Alors seulement, il s’asseyait.
 
Populiste, son assurance ne supportait nulle contestation ; outrancière, son autorité en mauvaise foi faisait référence. Orson Welles de la barrera, Falstaff du tendido, Grand Zampano de l’andanada, le Diamante avait quelque chose de l’orateur antique et du muezzin oriental. Bateleur du langage, c’était un australopithèque de la déraison et il avait en outre, l’élégance exquise d’un charcutier en gros dans les salons de la duchesse d’Uzès.
 
Nous avions sympathisé et puis d’un coup il m’avait demandé s’il m’intéresserait de m’associer avec lui pour faire la claque à Manolo Sales, novillero modeste de chez modeste qui lui avait donné quelques sous pour que le « Diamante » fasse son office.
 
J’avais bien évidemment accepté cette proposition unique ; mais malgré tous nos efforts conjoints, le torero n’avait récolté qu’une bronca à son premier et avait presque vu son second rentrer vivant !
 
Le Diamante accusa ma boiterie d’être responsable de la chose et me dit que, oiseau de malheur, il ne m’adresserait plus jamais la parole.
 
Deux mois après, à Madrid, il me prit dans ses bras, me saluant d’un «Que tal cojo, me alegro reverte» en en profitant pour élégamment me toucher les couilles…
 
Recuerdo 3
 
C’était il y a, très, très longtemps.
 
Un samedi matin devant « Le Cheval Blanc », Dario Moreno en costume de satin rose et au volant d’une « Cadillac » décapotable blanche promenait, fines moustaches au vent, son élégance calamistrée.
 
L’après-midi aux arènes, il applaudissait en se pâmant de bonheur la grâce torera de Paco Camino, jeune matador de toros au cartel avec Aparicio et Ostos et des toros d’Urquijo.
 
Le même jour, après la course, à la terrasse de «La Grande Bourse» mon père me montra quelqu’un : Barbu comme un faune, hilare derrière ses lunettes vertes fumées, Ernest Hemingway donnait de terrifiantes bourrades à Cristobal Becerra.
 
Après avoir longtemps managé Carlos Arruza, Don Cristobal, le vieux dandy ibère apodérait avec une passion égale Diego Puerta et « Los Bomberos toreros ».
 
En chapeau noir à bords roulés, costume croisé rayé, œillet rouge à la boutonnière et chaussures bicolores noires et blanches, on l’aurait dit sorti tout droit d’une bande dessinée.
 
Je n’avais que dix ans et demi, mais en ce jour lumineux de Féria et pour la première fois de ma vie, j’entrai dans le mythe…
 
 Datos 
 
«Burlero» de l’élevage de Marcos Núñez a tué José Cubero Sánchez « Yiyo » le 30 août 1985 à Colmenar Viejo ; Luis Gómez Sánchez «El «Diamante Rubio» est mort le 22 mars 2003 dans une mauvaise pension de Valencia ; David Arugete, «Dario Moreno» le 1erdécembre 1968 à Istambul ; Ernest Hemingway s’est tiré une balle dans la tête le 2 juillet 1961 à Ketchum (Idah), Carlos Ruiz Camino Arruza est mort le 20 mai 1966 ; Diego Puerta Diánez, le 30 novembre 2011 ; Jaime Ostos Carmona le 8 janvier 2022 et Cristóbal Becerra Cortés lui aussi est mort je ne sais quand.
 
Lucien Tien Orlewski « Chinito » a soixante-dix ans, Luis Miguel Moro Gallego soixante-treize, Juan Lorenzo Bueno Ramos aussi ; ils sont tous les trois matadores de toros ; Paco Ojeda González a soixante-huit ans ; Paco Camino Sanchez quatre-vingt-deux ans  et Julio Aparicio Martínez quatre-vingt-onze.
 
Quant à Manolo Sales Garrido, il prit l’alternative en mars 1979 à Valencia, la confirma à Madrid en avril et fit sa despedida le 16 mars 1991 à Valencia.
 
Et en ce qui concerne la ganadería d’Urquijo :
 
« Antonio Ordóñez avait acquis en 1980 la fameuse ganadería d'Urquijo, détentrice originelle de l'encaste murubeño. Après en avoir cédé un lot à D. José Pérez, aujourd'hui propriété du maestro Capea, un autre lot et le fer retournèrent en 1984 entre les mains de D. José Murube qui l'annoncera “ Ganadería de Murube ” retrouvant ainsi 67 ans plus tard le fer et le sang que ses aïeux avaient cédé à la famille Urquijo. 
 
Après le décès de son époux, Doña Pilar sera obligée de vendre l'ensemble d'un troupeau historique auquel le Maestro avait pendant 18 ans, travaillé à redonner le lustre d'antan. 
 
C'est cet ensemble génétique exceptionnel qu'a acquis Christophe Fano et ramené sur les terres de Sulauze. Si la première camada de son fer porte le 9, il continuera jusqu'en 2000 à lidier des novillos au fer de Pilar Lezcano. » 
 
(Sources Toros de France)
 
Patrice Quiot