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Vendredi, 29 Septembre 2023
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L'élevage des taureaux de combat dans la vallée du Guadalquivir… (3)
 
« Tous ces grands éleveurs de taureaux, laïcs comme ecclésiastiques, présentent quelques traits communs, comme celui d’être de gros laboureurs qui exploitent des centaines, voire des milliers d’hectares de terres, en propriété et affermées .
 
Les fournisseurs de taureaux pratiquaient d’autres activités agricoles comme laboureurs ou éleveurs. En tant que gros laboureurs, ils avaient besoin de plusieurs dizaines de paires de bœufs pour les travaux des champs. Pour des raisons économiques et agronomiques, le remplacement de ces animaux de trait était réalisé au sein de l’exploitation, le cortijo, ils avaient donc besoin de grands troupeaux de vaches pour assurer la reproduction des bœufs.
 
Ces troupeaux se composaient de centaines de vaches reproductrices et des portées successives d’élèves jusqu’à ce qu’elles arrivent à l’âge adulte. Parmi eux, il y a toujours des mâles qui peuvent être utilisés à la reproduction, conduits aux abattoirs des villes pour la boucherie ou, quand l’occasion se présente, vendus aux institutions organisatrices pour être combattus dans les arènes. Dans les troupeaux, on ne fait pas la distinction entre les vaches destinées au remplacement des bœufs ou à la production d’animaux de boucherie, et celles qui se consacrent à la production de taureaux. Il n’y a donc pas de différenciation entre l’élevage des animaux domestiques et celui des taureaux de combat, qui, alors, ne se pratiquaient pas différemment.
 
Cela rattache, clairement, les origines de l’élevage du taureau à la grande exploitation agricole andalouse. Le troupeau bovin et l’exploitation se renforçaient mutuellement. Le troupeau se nourrissait pendant l’année sur les friches et les jachères des cortijos et, en été, après la moisson, sur les chaumes. Quant à l’exploitation, elle profitait du travail des bœufs et du fumier fourni par le troupeau. C’est là le type d’exploitation caractéristique du cortijo andalou, qui était mixte, agricole et pastorale, l’assolement triennal extensif permettant cette interaction.
 
C’est pour cela que les exploitations où l’on élevait les taureaux étaient situées, au XVIIIe siècle, dans des terroirs particulièrement aptes à la culture, comme la plaine et la vallée. Les marais jouaient un rôle important pour l’élevage des bovins en Basse Andalousie, car les bêtes y trouvaient de l’herbe fraîche durant les mois de sécheresse estivale.
 
Dans le reste des provinces qui forment la vallée du Guadalquivir, l’évolution de l’élevage des taureaux de combat fut différente de celle que nous venons de décrire pour la province de Séville. Moins lié à l’agriculture, l’élevage des bovins s’orientait vers l’approvisionnement des boucheries des villes, surtout celles de Madrid. C’est le cas des provinces de Jaén et de Cordoue. La situation de l’élevage bovin dans ces deux provinces apparaît dans le rapport commandé par le comte d’Aranda en 1768 et dans le Cadastre de Ensenada. 
 
Le premier signale neuf municipalités de la province de Jaén où l’on élevait des taureaux, Castellar, étant la plus importante (trois propriétaires y possédaient 237 taureaux), puis Úbeda avec 130 taureaux, Iznatoraf avec 88 et Villacarrillo avec 66. Même si dans ce document ne figure pas Andújar, le cadastre de Ensenada permet de pallier cette déficience, car il montre clairement l’importance de l’élevage dans cette ville. 
 
Trois propriétaires y possèdent près de 200 taureaux et un seul d’entre eux, le comte de la Quintería, gros laboureur et grand éleveur, en maintient 150 dans ses pâturages de Sierra Morena. Le cadastre apporte des précisions intéressantes sur cet élevage dans cette région : en hiver le troupeau montait vers les pâturages de Sierra Morena, où, en l’absence de neige, l’herbe était abondante ; en été, ces pâtures étaient mises en défens et le bétail gagnait les bords du fleuve où se trouvaient de frais pâturages dans ces fonds de vallée humides. Cette petite transhumance entre les zones de montagne et la vallée a été décrite aussi pour la province de Cordoue. Cette dernière n’a pas été d’une grande importance pour l’élevage des taureaux comme le montre le fait que l’on doit nommer des commissaires municipaux pour aller en chercher dans la province de Jaén lors de la célébration de fêtes taurines à Cordoue. En outre, la lecture de la comptabilité municipale de Cordoue datant du XVIIIe siècle, montre que seul un petit nombre de taureaux achetés pour les fêtes de la ville provenaient de la province.
 
En ce qui concerne celle de Cadix, il convient de distinguer la plaine des alentours de Jerez où l’élevage des taureaux présente de nombreuses analogies avec ce que nous avons vu pour celle de Séville, et les zones de la montagne – Medina Sidonia, Alcalá de los Gazules ou Vejer de la Frontera –, où le troupeau était très abondant, en relation avec l’approvisionnement des boucheries de Cadix, où l’on sacrifiait chaque année entre 8 et 10 000 bovins dans les dernières décennies du XVIIIe siècle.
 
Il est possible que ces troupeaux montagnards aient fourni une bonne partie des taureaux combattus dans les arènes de Cadix, qui, comme nous l’avons vu, était la ville où l’on en toréait le plus de toute l’Andalousie.
 
À cause du prestige atteint par les taureaux andalous, la demande dépassa les limites de l’Andalousie et ils furent combattus dans d’autres régions du pays. La demande madrilène fut la plus notable : l’Hôpital Général et celui de la Passion, qui avaient le monopole de l’organisation des corridas à Madrid, envoyaient tous les ans, à partir de 1790, une commission pour acheter des taureaux en Andalousie 
 
Tous les ans, plus de cent, en provenance des élevages andalous de plus de crédit, faisaient le voyage en suivant les drailles de la Meseta .»
 
Sources : Antonio Luis López Martínez dans « Histoire & Sociétés Rurales » 2013/1 (Vol. 39).
Patrice Quiot