Mercredi 08 Mai 2024
PATRICE
Jeudi, 22 Juin 2023
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Manet y los toros : «L’’homme mort» ; «Mlle V. en costume d'espada» ; «Le Matador saluant»...
« Les premières places ne se donnent pas, elles se prennent. » (Edouard Manet).
Edouard Manet était fasciné par les corridas.
« Un des plus beaux, un des plus curieux, un des plus terribles spectacles que l’on puisse voir, c’est une course de taureaux. J’espère mettre sur la toile l’aspect brillant, papillotant et en même temps dramatique de la corrida ».
(Courrier de Manet à Baudelaire, le 14 septembre 1865).
Pourtant, Manet n’avait jamais voyagé en Espagne, lorsqu’il a peint « Episode d’une course de taureaux ».
Il la connaissait à travers les grands peintres espagnols collectionnés en France, notamment Francisco Goya (1746-1828), Francisco de Zurbarán (1598–1664) et Diego Vélasquez (1599-1660), « le peintre des peintres », comme il l’a qualifié plus tard.
Manet était attiré par la «propreté» de la peinture espagnole, notamment l’emploi d’un dispositif stylistique italien, «le ténébrisme », qui utilise une juxtaposition rigide de valeurs claires et sombres.
Charles Baudelaire écrivait qu’avec Manet, «le génie de l’Espagne semble s’être réfugié en France».
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L’homme mort (1864-1865)
 
L’œuvre, à l’origine, n’était en fait qu’une partie d’une composition plus vaste destinée au Salon de Paris de la même année, et intitulée « Épisode d’une course de taureaux ».
Cet épisode lui avait été directement inspiré par la «Tauromaquia » de Francisco de Goya et par «Courses de taureaux» d’Alfred Dehodencq.
Les critiques du Salon reprochaient à « L’Épisode d’une course de taureaux » son manque de relief, les proportions des personnages, ainsi que de l’espace irréaliste.
Le peintre, mécontent des critiques qu’on lui adressait, découpa le tableau qui avait pourtant été accepté au Salon de 1864.
Il garda les deux parties de son œuvre :
L’une est intitulée « L’Homme mort » (à l’origine : « Le Torero mort »), elle est conservée à Washington.
Après le découpage, Manet a longuement retravaillé le torero mort de manière à en faire une œuvre indépendante et puissante.
De la grande toile, le peintre extrait une toile de 76 × 150 cm.
C’est Manet lui-même qui a décidé de donner au tableau un caractère plus universel en changeant le titre. Le torero mort devient L’Homme mort à l’exposition de 1867.
Manet a l’idée de génie de la découper pour ne retenir que le torero mort, en resserrant la focale autour de lui et en simplifiant les couleurs (1865).
Il passe du spectacle à une épure, du bruit au silence.
« Tel un romancier flaubertien, Manet maîtrise l’art du fragment, de l’ellipse, de la déliaison, il découpe et recompose, supprimant tout ce qu’il pouvait relever des recettes de la peinture d’histoire pour arriver au maximum des faits dans un minimum de forme » (Stéphane Guégan, conservateur au Musée d’Orsay).
L’autre partie découpée par Manet est intitulée « La Corrida ».
C’est une huile sur toile de 48 × 108 cm, portant la signature posthume de Manet.
Elle est conservée à la Frick Collection à New York.
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«Mlle en costume d'espada » (1862)
L'œuvre fut présentée au Salon des Refusés de 1863, tout comme « Le Déjeuner sur l'herbe » et « Le jeune homme en costume de majo ».
La toile est un portrait du modèle préféré de Manet, Victorine Meurent, travestie en homme.
Victorine feint de participer en tant qu’espada à une tauromachie. Tout est mis en œuvre cependant pour montrer que le sujet n’est qu’une supercherie : Victorine, du fait de la menace représentée par le taureau, ne devrait normalement pas fixer le spectateur avec autant d’insistance. L’ensemble de la scène est tout simplement un prétexte visant à représenter la modèle dans des habits masculins et donc à faire ressortir de manière plus éclatante encore sa féminité.
Considérée par Émile Zola comme une œuvre : « … d'une vigueur rare et d'une extrême puissance de ton (...) Selon moi, le peintre y a été plus coloriste qu'il n'a coutume de l'être. Les taches sont grasses et énergiques et elles s'enlèvent sur le fond avec toutes les brusqueries de la nature. »
Le tableau a été énergiquement désapprouvé par des critiques qui en ont fait un sévère compte rendu lors du salon des refusés de 1863. Ils lui reprochaient sa couleur trop éclatante. « Une demoiselle de Paris en costume d’espada, agitant son manteau pourpre dans le cirque d'un combat de taureau. Monsieur Manet adore l'Espagne et son maître d'affection paraît être Francisco de Goya dont il imite les tons vifs et heurtés. »
Mademoiselle Victorine initie le début d'une période hispanisante de Manet qui ne cesse de manifester son admiration pour l'Espagne, son art, et ses spectacles de tauromachie qui vont lui inspirer « Épisode d’une course de taureaux » qu'il découpera ensuite en deux tableaux : « L'Homme mort » et « La Corrida ».
De son voyage en Espagne, il rapporte des sujets plus directement liés à la tauromachie comme Combat de taureau ou Le Matador saluant, bien éloignés de ce que la critique d’art Beatrice Farwell appelle un « geste de défi » de la part de Manet, à savoir : habiller une demi mondaine en homme. La critique d'art voit là un rapport entre la démarche de Manet et les portraits de la Duchesse d'Alba par Francisco de Goya (la Duchesse d'Alba en blanc, la Duchesse d'Alba en noir, La Duchesse d'Alba et la bigote, etc.). L'aristocrate s'affichait volontiers en habits de toréador suivant la mode des majos et majas alors en vogue : le manolisme.
Manet ne visita l'Espagne qu'en 1865, mais il avait dans son atelier une collection de costumes qu'il utilisait comme accessoires et qui lui étaient fournis par un marchand espagnol du passage Jouffroy. On retrouve ce même costume dans d'autres tableaux de Manet : le Chanteur espagnol et le Jeune homme en costume de majo.
Il est possible que Manet se soit familiarisé avec les coutumes de Madrid et les détails de la corrida à travers le « Voyage en Espagne » de Théophile Gautier, ou les détails de la corrida donnés par Prosper Mérimée.
L'analyse récente aux rayons X de ce tableau a permis de découvrir une curiosité : « Mademoiselle Victorine en costume d'espada » a été réalisée par-dessus l'image d'une femme nue, assise, qu'on ne peut rattacher à aucune œuvre de l'artiste.
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« Le Matador saluant » (1866 / 1867)
 
Elle fait partie des œuvres de Manet refusées au Salon de Paris de 1866. L'artiste fut autorisé par le préfet à l'exposer dans son atelier sous la condition formelle de n'en ouvrir pas trop largement les portes.
Il reste des incertitudes sur la date exacte de l'exécution de l'œuvre. Une première référence certaine évoque 1867, lors d'une exposition particulière au pavillon de l'Alma.
Des critiques d’art, s'accordent à dire que le frère de Manet, Eugène, a servi de modèle pour le personnage, et qu'il s'agit bien d'un torero applaudi par la foule après la mort du taureau.
L'acquéreur de l'œuvre, Théodore Duret, affirme qu'il s'agit plutôt d'un torero demandant la permission de tuer le taureau.
À la différence du tableau « Mlle V. en costume d'espada » » considéré d'un point de vue tauromachique comme fantaisiste, Le Matador saluant » a été exécuté après le voyage de Manet en Espagne en 1865. Il reflète à l'évidence une admiration pour l'Espagne et pour son art. Charles S. Moffet voit dans ce tableau une correspondance avec Vélasquez et Zurbarán qui ont inspiré l'artiste pour la composition du tableau et l'utilisation des couleurs.
« Le Matador saluant » est la première œuvre de très grand format réalisée par Manet.
Le tableau a été légué au Metropolitan Museum of Art de New York en 1929. 
« Mlle V. en costume d'espada », s'y trouve également.
Datos 
Édouard Manet, né le 23 janvier 1832 à Paris et mort le 30 avril 1883 dans la même ville, est un peintre et graveur français majeur de la fin du XIXe siècle. Précurseur de la peinture moderne qu'il affranchit de l'académisme, Édouard Manet est à tort considéré comme l'un des pères de l'impressionnisme. Il s'en distingue en effet par une facture soucieuse du réel qui n'utilise pas (ou peu) les nouvelles techniques de la couleur et le traitement particulier de la lumière.
Il s'en rapproche cependant par certains thèmes récurrents comme les portraits, les paysages marins, la vie parisienne ou encore les natures mortes, tout en peignant de façon personnelle, dans une première période, des scènes de genre : sujets espagnols notamment d’après Vélasquez et odalisques d'après Le Titien.
Patrice Quiot