Jeudi 28 Mars 2024
Brindis à la daube… (2)
Jeudi, 16 Mars 2023
daube15pk
 
Proust n’est pas en reste pour évoquer la chose...
 
« Depuis la veille, Françoise, heureuse de s’adonner à cet art de la cuisine pour lequel elle avait certainement un don, stimulée, d’ailleurs, par l’annonce d’un convive nouveau, et sachant qu’elle aurait à composer, selon des méthodes sues d’elle seule, du bœuf à la gelée, vivait dans l’effervescence de la création ; comme elle attachait une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de son œuvre, elle allait elle-même aux Halles se faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de bœuf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II. (…)
 
Le bœuf froid aux carottes fit son apparition, couché par le Michel-Ange de notre cuisine sur d’énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent.
 
Vous avez un chef de tout premier ordre, Madame, dit M. de Norpois. (…)
 
Voilà ce qu’on ne peut obtenir au cabaret, je dis dans les meilleurs : une daube de bœuf où la gelée ne sente pas la colle, et où le bœuf ait pris le parfum des carottes, c’est admirable ! Permettez-moi d’y revenir, ajouta-t-il en faisant signe qu’il voulait encore de la gelée. Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant sur un mets tout différent, je voudrais, par exemple, le trouver aux prises avec le bœuf Stroganoff. (…) »
 
« Mais enfin, lui demanda ma mère, comment expliquez-vous que personne ne fasse la gelée aussi bien que vous (quand vous le voulez). - Je ne sais pas d’où ce que ça devient », répondit Françoise (qui n’établissait pas une démarcation bien nette entre le verbe venir, au moins pris dans certaines acceptions, et le verbe devenir). Elle disait vrai du reste, en partie, et n’était pas beaucoup plus capable – ou désireuse – de dévoiler le mystère qui faisait la supériorité de ses gelées ou de ses crèmes, qu’une grande élégante pour ses toilettes, ou une grande cantatrice pour son chant. Leurs explications ne nous disent pas grand-chose ; il en était de même des recettes de notre cuisinière. « Ils font cuire trop à la va-vite, répondit-elle en parlant des grands restaurateurs, et puis pas tout ensemble. Il faut que le bœuf, il devienne comme une éponge, alors il boit tout le jus jusqu’au fond. » (A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
 
Virginia Woolf, conquise par l’exotisme de la daube, se la réapproprie dans son humide Angleterre.
 
Elle fait même du service d’un bœuf en daube le point stratégique de la grande scène du dîner de son roman, To the Lighthouse. 
 
La description débute de façon prometteuse, avec ce portrait de Mrs Ramsay examinant « soigneusement l’intérieur du plat, ses parois brillantes, la confusion de ses viandes jaunes et brunes à l’aspect succulent, ses feuilles de laurier, sa sauce au vin… ». 
 
Elle se gâte ensuite lorsque Mrs Ramsay, voyant ses invités tarder, s’inquiète de devoir tenir sa daube au chaud, alors qu’il serait essentiel, pense-t-elle, « de la servir à la minute même où elle est prête ».
 
Elle fait là une grave erreur puisque, s’il est un point qui fait l’unanimité, c’est que la daube est meilleure réchauffée, le lendemain, lorsqu’elle se prêtera après réduction de la sauce à un succulent « nougat de bœuf » ou à quelque remploi assaisonnant, au choix, gnocchi, raviolis ou tagliatelles « al ragú ». 
 
Si la daube en pâté, figé et coupé en tranches, emporté dans une besace avec une miche de pain pour les travaux des champs, n’existe plus que comme survivance, trace de ce monde paysan en voie de disparition, la daube, pourrait-on en conclure, est un plat « du jour » qui, par facétie, se marine la veille, se cuisine le jour entier et se mange le lendemain. ».
 
 
 
Plat magnifique de simplicité et de convivialité.
 
Plat de soleil.
 
 
 
Plat de saveurs nôtres
 
Plat du Sud.
 
 
 
Va por ti, daube, te quiero para volvernos locos de risa, ebrios de nada, y pasear sin prisa por las calles, antes de ir a los toros…
 
Sources : Épistémologie du bœuf en daube : un paradigme anthropologique
 
Corinne Cauvin Verner et autres.
 
Patrice Quiot